Le divin de Bohême

Rome, 1781. Le musicien Josef Myslivecek, cachant sous un masque un visage défiguré par la syphilis, meurt à 43 ans, seul et ruiné, après avoir bradé ses dernières possessions. Quinze années plus tôt, pourtant, c’est un jeune compositeur fringant, séduisant et plein d’ambition qui quitte sa ville natale de Prague, où ses premières symphonies avaient reçu un accueil enthousiaste, pour tenter sa chance en Italie, alors épicentre de la musique européenne. À Venise, il vivote en proposant des cours particuliers, avant de donner son premier opéra, Semiramide, qui rencontre un franc succès. Par l’entremise d’une marquise au bras long qu’il a prise pour maîtresse, il voit enfin sa carrière décoller : le prestigieux Opéra de Naples lui commande une œuvre en l’honneur du tout jeune roi Ferdinand IV avec, dans le rôle-titre, la soprano Caterina Gabrielli. Star de la scène italienne, réputée tant pour sa voix et son exigence que pour ses caprices et ses mœurs scandaleuses, la diva ne résiste pas longtemps à son charme. Son deuxième opéra Il Bellerofonte est un triomphe, et les cours s’arrachent désormais celui que l’on appelle "il divino boemo", "le divin de Bohème", à défaut de savoir prononcer son nom…

Retour en grâce
Intrigues, libertinage et scandales, le tout sur fond de musique céleste : dans ce film biographique élégant et documenté, traversé de mélancolie, sorti en salles sous le nom Il Boemo, le réalisateur tchèque Petr Vaclav réhabilite la figure de son compatriote, compositeur baroque de talent injustement oublié. De cet artiste dont on ne sait aujourd’hui plus rien, il fait un personnage avenant et doux, observateur plutôt qu’acteur, plus à l’aise auprès des femmes que des puissants. Son drame, comme celui de nombre de ses contemporains, est sans doute d’avoir été éclipsé par le génie de Mozart : une scène cruelle montre ce dernier, jeune virtuose de 14 ans, reproduire à l’oreille une pièce de son aîné au clavecin, avant de l’achever par une improvisation fulgurante sous ses yeux médusés. Les très belles compositions de Myslivecek tiennent fort justement une place de choix dans le film, avec des interprétations in extenso, sur scène et en costumes d’époque, par des chanteurs de renom – les sopranos Raffaella Milanesi et Emoke Barath ou le contre-ténor Philippe Jaroussky –, accompagnés par l’ensemble Collegium 1704. Un divin retour en grâce.