Gabriële Buffet-Picabia, la femme au cerveau érotique

"Dès ma naissance, je n’ai rien fait comme tout le monde." Enfant, Gabriële Buffet, qui a vu le jour en 1881 à Versailles, trouve dans la musique un moyen d’exprimer sa singularité. Déterminée à créer plutôt qu’à exécuter, elle rejoint à Paris la classe de composition de la Schola Cantorum, avant de poursuivre ses études à Berlin, loin des injonctions familiales au mariage. Au contact d’un bel étudiant français, Edgar Varèse, futur compositeur qu’elle aide à accoucher d’un poème musical au cours d’une nuit blanche, la jeune femme découvre son talent maïeutique. De retour à Versailles, elle fait la connaissance d’un ami de son frère dont elle va également débrider la créativité, en l’encourageant à s’affranchir du réel. Sous son influence, le dandy Francis Picabia, qu’elle épouse en 1909, délaisse les paysages postimpressionnistes qui ont fait son succès pour plonger dans la grande aventure de l’abstraction. Avec Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire, ils forment un inséparable quatuor, enchaînant virées nocturnes parisiennes et escapade jurassienne sur les terres des Buffet. Pendant la Première Guerre mondiale, Guillaume Apollinaire prend les armes quand ses trois amis se réfugient à New York où, malgré une frénésie de fêtes, Picabia s’enfonce dans la dépression. C’est au cours d’une parenthèse barcelonaise qu’il fonde la revue "391", d’inspiration dada. Au sortir du conflit, Gabriële Buffet, désormais séparée de son mari, renoue avec la musique, aux côtés d’Igor Stravinski. Proche des artistes Jean Arp et Sophie Taeuber, elle s’emploie aussi à promouvoir leurs œuvres à travers ses écrits, et entretiendra la mémoire de Picabia et de Duchamp après leurs disparitions respectives, en 1953 et 1968.

Fièvre artistique
Théoricienne de l’ombre plus que muse, surnommée "la femme au cerveau érotique" tant son intelligence stimulait les génies qu'elle côtoyait, Gabriële Buffet-Picabia a joué un rôle déterminant et méconnu dans la révolution de l’art moderne. Adapté de l’ouvrage qu’Anne Berest (coauteure et voix off du documentaire) et sa sœur Claire ont consacré à leur arrière-grand-mère en 2017 ("Gabriële", paru chez Stock), cet élégant portrait retrace la destinée de cette brillante critique d’art, qui s’engagea dans la Résistance. Entremêlant archives familiales, films d’époque, éclairages d’historiens de l’art et animations, le documentaire offre, dans son sillage, une fascinante plongée dans la fièvre artistique de la première moitié du XXe siècle.