Les violences faites aux femmes en Italie, « problème culturel »

Les violences faites aux femmes en Italie, « problème culturel »

La lutte contre les violences faites aux femmes est, depuis quelques années, un enjeu de société en Italie. Le 9 août dernier, une nouvelle loi contre les violences conjugales est entrée en vigueur. Novateur pour certains, « spot publicitaire » pour d’autres, ce texte baptisé « Code Rouge » divise.

Elle est devenue l’un des symboles des violences conjugales en Italie : Lucia Annibali, ancienne avocate, a été victime en 2013 d’une attaque à l’acide commanditée par son ex-conjoint. La jeune femme, qui a subi une vingtaine d’interventions au visage depuis, garde les stigmates de son agression.

Aujourd’hui députée, elle a fait de la lutte contre les violences à l’égard des femmes un combat politique. En juillet dernier, elle a pris position contre le « Code Rouge », une loi pour la protection des victimes de violence domestique et de genre, entrée en vigueur en Italie le 9 août 2019. Lucia Annibali juge ce texte « inefficace ». « Les principes sont bons, mais les solutions proposées sont insuffisantes », déplore-t-elle dans une interview accordée au HuffPost.

Que prévoit le « Code Rouge » ?

Cette loi introduit au code pénal quatre nouveaux délits :

•  Le revenge porn, une pratique qui consiste à se venger d’une personne en rendant publique des contenus « à caractère sexuellement explicites », réalisés avec ou sans son accord. Des circonstances aggravantes sont prévues si les faits sont commis dans le cadre d’une relation affective, même terminée.

•  Le délit « de déformation de l’aspect de la personne », les attaques à l’acide par exemple.

•   Le mariage forcé, y compris lorsqu’il est commis à l’étranger.

•   La violation des mesures d’éloignementpar un conjoint violent.

Le « Code Rouge » prévoit également des peines de prisons plus lourdes et des procédures pénales accélérées. Les victimes de violences conjugales ou de genre, par exemple, devront désormais être entendues par les magistrats dans un délai de trois jours après avoir déposé plainte.

Lucia Annibali

La députée italienne a été victime en 2013 d’une attaque à l’acide commanditée par son ex-conjoint. Photo : Andreas Solaro/AFP

Manque de moyens, manque d’efficacité

La texte a été adopté à une large majorité par les députés italiens : 380 votes pour et 92 abstentions. Ce sont essentiellement des députés démocrates qui se sont abstenus. Plusieurs membres du Partito Democratico – parti de Lucia Annibali – ont pris position contre cette loi : Le sénateur Luigi Cucca l’a qualifiée de « spot publicitaire », la sénatrice Valeria Valente d’« opportunité manquée ».

Les députés démocrates ont assuré, dans une déclaration, que se contenter de revoir les peines à la hausse ne suffisait pas. Ils regrettent également l’absence de fonds supplémentaires, alloués à ce « problème complexe et, avant tout, culturel. » Les violences de genre, estiment-ils, sont « un phénomène structurel qui ne recule pas, qui trouve son origine dans des disparités de pouvoir entre les hommes et les femmes et dans l’organisation patriarcale de la société ».

Lucia Annibali s’étonne, quant à elle, que la tenue d’audiences dans un délai de trois jours ne concerne que certaines victimes, et pas celles de revenge porn par exemple. Des associations féministes pointent également du doigt cette mesure. « Les magistrats ne devraient entendre les victimes que si cela est nécessaire et seulement si ces personnes sont prêtes » a déclaré à la presse italienne Manuela Ulivi, avocate et présidente d’un centre anti-violence à Milan. « Si les policiers sont préparés, formés, la plainte initiale sera largement suffisante pour l’investigation. […] L’audience ne fera que forcer les victimes à répéter des histoires pénibles, déjà détaillées dans la plainte. » Lorsque plainte il y a.

L’Italie, vers une « révolution culturelle ? »

Féminicides : les enfants, victimes collatérales

Les enfants aussi, sont victimes des violences conjugales. En 2018 en France, 29 mineurs ont été confrontés au meurtre d’un de leurs parents par un conjoint violent. Quelles conséquences ? Comment ces enfants sont-ils pris en charge ?

Car le problème reste le silence des femmes qui, par peur de ne pas être crues, n’osent pas signaler les violences. L’Italie reste l’un des pays européens les moins égalitaires et les enquêtes qui y ont été menées montre un écart important entre le nombre de femmes se disant victimes d’agressions et celles qui déclarent avoir déposé plainte.

En Italie, une femme est tuée tous les trois jours. Dans ce pays – où, selon le dicton, la donna non è gente, la femme n’est personne – le « crime d’honneur » était inscrit dans le code pénal jusqu’en 1981 : le meurtre d’une épouse infidèle était donc justifié et le conjoint s’en sortait avec une peine très légère. Jusqu’en 1996, le viol était puni comme un crime contre la morale, et non contre la personne.

Mais, depuis une dizaine d’années, la mobilisation contre ce fléau prend de l’ampleur. En 2013, l’Italie fait partie des premiers États à ratifier la Convention d’Istanbul. La même année, le droit italien reconnaît le féminicide comme un crime (ce qui n’est pas encore le cas en France). En 2018, l’Italie s’est dotée d’une loi visant à protéger les « orphelins de féminicides », une première en Europe. Quant au « Code Rouge », Giuseppe Conte, président du Conseil sortant, a estimé qu’il s’agissait d’« un premier pas important » vers « la révolution culturelle dont notre pays a grandement besoin ».