Olivier Père

Sur le tournage de Pasolini de Abel Ferrara

Rome, 19 février. Retrouvailles avec Abel Ferrara (photo en tête de texte) sur le tournage de son nouveau long métrage Pasolini consacré à l’ultime journée du poète, écrivain et cinéaste italien avant son assassinat dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975.

Willem Dafoe dans Pasolini d'Abel Ferrara

Willem Dafoe dans Pasolini de Abel Ferrara

Le scénario a connu plusieurs réécritures mais l’idée initiale était déjà de se concentrer sur les dernières heures de Pasolini, entre la postsynchronisation de Salò et les 120 journées de Sodome, un long entretien accordé à la presse française, ses retrouvailles romaines avec ses plus proches amis (Laura Betti, Ninetto Davoli) et ses dragues nocturnes dans les bars autour de la stazione Termini, jusqu’à sa rencontre avec un jeune « ragazzo » Giuseppe Pelosi qui le conduira à la mort. Les circonstances et le mobile de l’assassinat de Pasolini (crime homophobe, crime politique ?) sont encore très discutés aujourd’hui, sujets à de nombreuses polémiques, entretenues par Pelosi lui-même, condamné pour homicide au premier degré, qui est revenu sur ses aveux plusieurs années plus tard. Il faudra attendre encore un peu pour savoir quel éclairage, ou quelle signification Ferrara veut donner à la mort de Pasolini dans son film. La veille il tournait sur la plage d’Ostie, dans la lointaine banlieue romaine, l’assassinat du poète, interprété par Willem Dafoe. Le tournage se poursuit le lendemain en soirée, une grande partie des prises de vue s’étant déroulée la nuit, parfois jusqu’à cinq heures du matin. L’équipe a investi le restaurant Pommidoro, Piazza dei Sanniti, lieu fréquenté par Pasolini (un chèque non encaissé du cinéaste italien a été encadré près de la porte : son dernier repas dans l’établissement.) Willem Dafoe bien remis de la nuit éprouvante qu’il vient de passer et l’équipe finissent de dîner avant le début du tournage, tandis que Ferrara s’active déjà pour la préparation des plans, tout en discutant de table en table avec ses collaborateurs. Non loin de là on aperçoit le jeune garçon choisi par Ferrara pour interpréter Pelosi, étonnant visage d’ange et de voyou comme Pasolini aimait les filmer, découvert dans la rue et dont c’est la première expérience devant les caméras.

Willem Dafoe dans le rôle de Pier Paolo Pasolini

Willem Dafoe dans le rôle de Pier Paolo Pasolini

Willem Dafoe, dont la ressemblance physique avec Pasolini est frappante – il confesse qu’on lui avait déjà proposé il y a longtemps de personnifier Pasolini dans un film de fiction – évoque l’importance de se doubler lui même en italien, sans pour autant chercher le moindre mimétisme avec la voix du poète italien. Il s’agit d’une création, pas d’une imitation. Ferrara acquiesce, plein d’admiration pour celui qu’il dirige pour la quatrième fois et qui est devenu depuis Go Go Tales son double cinématographique. D’ailleurs les derniers films de Ferrara sont tous des autoportraits, nul doute que son nouveau n’inversera pas cette tendance et qu’il y aura beaucoup de lui dans cette évocation de Pasolini, figure artistique qui hante la vie et l’œuvre du cinéaste italo-américain depuis ses débuts dans l’underground new yorkaise et sa passion pour le cinéma moderne européen : Godard, Bertolucci, Pasolini bien sûr.

Le directeur de la photographie de Pasolini est Stefano Falivene, qui a déjà signé l’image de Mary (partiellement tourné en Italie) de Ferrara, en 2005. Ferrara a souhaité tourner Pasolini en 35mm, afin de retrouver l’ambiance visuelle et les couleurs chaudes et sombres de la Rome urbaine des années 70.

Le lendemain en fin d’après-midi le tournage se poursuit dans un immeuble des quartiers populaires de la ville. Dans un minuscule appartement (« difficile de savoir ou commence notre désordre et celui des propriétaires » plaisante Ferrara) l’équipe tourne une scène extraite d’un scénario non tourné de PPP, « Porno Teo Kolossal », qui devait être réalisé après Salò. Ferrara a en effet voulu insérer dans la chronologie des dernières heures de Pasolini des interprétations en images de deux œuvres posthumes, le roman « Pétrole » (publié inachevé après sa mort) et ce scénario écrit à l’origine pour réunir à l’écran le couple Totò/Ninetto Davoli après Des oiseaux, petits et gros, puis Ninetto et le dramaturge napolitain Eduardo de Filippo après le décès de Totò en 1967.

Dans la version ferrarienne, c’est Ninetto Davoli, aujourd’hui âgé de 64 ans qui incarne le vieil homme et Riccardo Scamarcio qui prête ses traits au jeune Ninetto, avec son sourire malicieux et sa fameuse chevelure de jais bouclée. Les deux principaux intéressés s’amusent de cette confusion du vrai et du faux Ninetto, de l’acteur et du personnage à deux âges de leur vie. Riccardo Scamarcio est content de retrouver Ferrara qu’il avait déjà croisé sur le plateau de Go Go Tales entièrement tourné à Cinecittà en 2007, où il tenait un petit rôle.

Ninetto Davoli se réjouit de participer à cette aventure : « C’est émouvant mais je ne peux m’empêcher de me demander comment Pier Paolo aurait tourné cette scène. Ferrara est un fou génial, déchainé et profondément sympathique. Je l’aime beaucoup. Il me fait penser à Carmelo Bene avec qui j’ai travaillé au théâtre. » Et Pasolini est produit par la société française Capricci, baptisée ainsi d’après une oeuvre cinématographique de Carmelo Bene, génial et fantasque metteur en scène italien…

Une semaine plus tard s’achevait le tournage. Pasolini vient d’entrer en postproduction. C’est une production majoritairement française (Thierry Lounas pour Capricci Production) coproduite par ARTE France Cinéma, avec Tarantula Scrl (Belgique) et Urania Pictures (Italie.)

 

photographies: © Capricci – Urania Pictures – Tarantula – Dublin Films

Catégories : Actualités · Coproductions · Rencontres

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