Olivier Père

Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene

ARTE diffuse ce soir à 23h35 Le Cabinet du docteur Caligari (Das Cabinet des Dr. Caligari, 1919) précédé à 22h40 d’un documentaire inédit « Docteur Caligari ou l’invention du film d’horreur » de Rüdiger Suchsland, sympathique critique de cinéma allemand qu’on a souvent croisé dans les festivals. Cette soirée coïncide avec la présentation, dans la même version restaurée et mise en musique par John Zorn, du célèbre film de Robert Wiene à la Berlinale.

Le Cabinet du docteur Caligari est un titre important de l’expressionnisme allemand, dont les partis-pris visuels outrés, la stylisation excessive des décors, costumes et perspectives obliques et en angles pointus accoucheront d’un mouvement artistique propre à l’esthétique du film, le « caligarisme. » Cette distorsion de l’espace et des décors s’explique essentiellement par le fait que le film presque tout entier, loin de se contenter d’être un récit cauchemardesque sur la folie, épouse la subjectivité paranoïaque d’un fou enfermé dans un asile, et qui imagine le directeur de l’établissement en génie du mal, sorte de parent du docteur Mabuse. Fritz Lang fut d’ailleurs envisagé pour mettre en scène le film mais il déclina l’offre, trop occupé à tourner Les Araignées. Classique du cinéma muet, Le Cabinet du docteur Caligari est entré dans l’histoire par son style impressionnant mais aussi ses personnages (le somnambule Cesare interprété par Conrad Veidt) et situations qui en font une matrice de tout le cinéma fantastique et d’horreur. Son influence est palpable dans des titres aussi différents que La Nuit du chasseur – le meurtre de Shelley Winters par Robert Mitchum reprend la scénographie et la gestuelle outrancières du film de Wiene – ou Edward aux mains d’argent (Johnny Depp vêtu et maquillé de la même manière que Conrad Veidt.) l’œuvre toute entière de Tim Burton ressemble d’ailleurs à une excroissance du Cabinet du docteur Caligari, également cité par Dario Argento comme son film préféré – nombreuses allusions visuelles dans Suspiria et Inferno, conçus eux aussi comme des cauchemars sur pellicule. De Palma se permet un clin d’œil rigolard à la scène la plus iconique de Caligari – la présentation de Cesare endormi dans son cercueil vertical dans Phantom of the Paradise, soulignant au passage l’influence des maquillages et décors du film sur les groupes de Heavy Metal (Kiss !) de Glam Rock ou de New Wave des années 70 et 80. Sans oublier Roger Avary qui après un extrait de Nosferatu le vampire dans Killing Zoe glisse un extrait du Cabinet du docteur Caligari dans Les Lois de l’attraction qui éclaire son adaptation du roman de Brett Easton Ellis : ses jeunes protagonistes évoluent comme des zombies privés de conscience dans un mauvais rêve éveillé. Pièce de musée sans doute plus datée que les chefs-d’œuvre de Lang et Murnau réalisés à la même époque, le film de Wiene (ou plutôt son « look ») n’a pourtant cessé d’irriguer le cinéma, la mode et la musique comme un réservoir à images inépuisable.

 

PS : Le Cabinet du docteur Caligari a aussi connu les honneurs douteux d’un remake d’une grande platitude, en complète contradiction avec l’œuvre originale, réalisé en 1962 aux Etats-Unis par Roger Kay avec un scénario de Robert Bloch, The Cabinet of Caligari demeuré inédit en France.

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