Olivier Père

Locarno 2012 Day 10 : Mylène Demongeot

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Ce soir Mylène Demongeot sera sur la Piazza Grande pour présenter Bonjour tristesse, en copie neuve et en 35mm sur le plus grand et le plus bel écran du monde, cela ne se refuse pas. Hier elle a rencontré le public du festival pour évoquer ses livres de souvenirs et sa rencontre avec Otto Preminger.

La comédienne Mylène Demongeot est célèbre pour sa participation à de nombreux succès du cinéma populaire français, notamment Sois belle et tais-toi de Marc Allégret, Faibles Femmes de Michel Boisrond, Les Trois Mousquetaires (version Bernard Borderie), la série des « Fantomas » aux côtés de Jean Marais et Louis de Funès et celle des « Camping » avec Franck Dubosc. Ce furent Les Sorcières de Salem de Raymond Rouleau (adaptation de la pièce d’Arthur Miller avec Yves Montand et Simone Signoret) qui révélèrent ses talents d’actrice en 1957 après des petits rôles dans Futures Vedettes ou Papa, maman, ma femme et moi… Mais au gré d’une carrière internationale on l’a aussi apprécié dans plusieurs films d’auteurs signés Mauro Bolognini (Les Garçons), Dino Risi (L’Inassouvie), Michel Deville (A cause, à cause d’une femme), Bertrand Blier (Tenue de soirée) ou Jacques Fieschi (La Californie). Ses admirateurs se souviennent également d’elle dans des films culte comme Le Cavalier noir (The Singer Not the Song) étrange western anglais tourné en Espagne de Roy Ward Baker avec Dirk Bogarde et John Mills ou le péplum La Bataille de Marathon de Jacques Tourneur et Mario Bava avec Steve Reeves. Pour les cinéphiles, son nom reste associé à un chef-d’œuvre méconnu du cinéma italien, L’Inassouvie (Un amore a Roma, 1960) de Dino Risi et surtout à la magistrale adaptation de Bonjour tristesse de Françoise Sagan par Otto Preminger en 1958, où elle interprète Elsa, l’ingénue jeune maîtresse française de David Niven, aux côtés de Jean Seberg et Deborah Kerr. Mylène Demongeot est déjà venue au Festival del film Locarno pour y accompagner Sous les toits de Paris d’Hiner Saleem en compétition internationale, avec Michel Piccoli en 2007. Nous sommes très heureux de l’accueillir à nouveau à Locarno pour y présenter Bonjour tristesse, dans le cadre de la rétrospective intégrale de l’œuvre d’Otto Preminger. Pour préparer sa venue, nous l’avons rencontré dans son appartement parisien pour évoquer cette expérience importante à l’orée de sa carrière. Propos rapportés.

« Quand Preminger est arrivé à Paris pour chercher des jeunes actrices pour le rôle d’Elsa il a vu Les Sorcières de Salem au cinéma et a demandé à me rencontrer. Mon agent m’a téléphoné pour m’expliquer que Preminger préparer une adaptation de Bonjour tristesse. Et moi j’étais indigné qu’après un grand rôle dramatique dans le film de Raymond Rouleau « ce type » ose de proposer un petit rôle de comédie d’après un petit roman à la mode de Françoise Sagan. C’est dire ma naïveté à l’époque…

Mon agent m’a dit de me taire et de rencontrer Preminger. Je suis allé au rendez-vous en trainant des pieds, sans me coiffer ni me maquiller, dans un pull over informe. J’arrive et je dis à Preminger « cher monsieur, je ne vois pas pourquoi vous m’avez fait venir, il paraît que c’est un rôle rigolo et moi je suis une actrice dramatique et je ne parle pas anglais, je n’ai pas envie de vous faire perdre votre temps parce que j’ai vu vos films et que vous êtes un metteur en scène formidable. » Il a ri et m’a répondu « d’accord, on en reparlera. » Je suis partie. Deux jours après mon agent m’a appelé pour me dire qu’il voulait déjeuner avec moi. J’étais flattée de déjeuner avec un grand metteur en scène. Il m’a dit que c’était moi qu’il voulait. Il m’a envoyé un professeur d’anglais sur le tournage d’un film que je faisais aux studios de La Victorine à Nice, Une manche et la belle d’Henri Verneuil. Un type extraordinaire venu de Hollywood qui en un mois et demi grâce à sa méthode d’immersion m’a permis de parler suffisamment bien anglais pour faire le film.

Pendant que j’étais à Nice où j’avais loué un appartement, Preminger m’a envoyé Jean Seberg pour qu’elle apprenne le français. Jean et moi sommes devenues très amies. Je ne suis pas remontée à Paris et j’ai enchaîné les deux tournages. La grande majorité de Bonjour tristesse s’est tourné dans la maison de Pierre Lazareff qui s’appelait « La Fossette », une merveille à côté du Lavandou. Au début je logeais à Saint-Tropez mais je n’aimais pas beaucoup cet endroit alors j’ai trouvé un petit cabanon sur la plage de Cavalière où je suis demeurée pendant toute la durée du tournage. C’était fabuleux. A l’époque on était engagé sur la durée de tout le tournage, quel que soit votre rôle. J’ai donc passé huit ou dix semaines dans le Midi, heureuse comme une reine.

Un tournage américain en France

Avant le tournage, il n’y a eu absolument aucune répétition avec les comédiens. Pas de lecture. Chaque comédien recevait son scénario. Les metteurs en scène américains vous choisissent parce qu’ils considèrent que vous êtes le personnage. A partir de ce moment-là, c’est à vous de faire le travail. En France, nous avions plutôt l’habitude – par exemple pour Les Sorcières de Salem – d’un metteur en scène comme Raymond Rouleau qui venait du théâtre et qui était extrêmement directif. On répétait le film pendant un mois avant le début du tournage.

Le contraire d’un metteur américain, qui vous habille comme il veut, vous coiffe comme il le veut et ensuite vous demande d’être gaie ou pétulante.

La première scène importante de Bonjour tristesse que nous avons tournée est celle dans le lit où David Niven vient me réveiller le matin et que je suis couverte de coups de soleil. On a tourné une journée entière. Lorsque Preminger a vu les rushes, cela ne lui a pas plus et on a recommencé une deuxième fois, huit jours après, et il a obtenu ce qu’il voulait.

En France lorsqu’on tourne un plan de dix ou quinze secondes on a l’impression d’être allé au bout du monde. Avec Preminger le plan de la chambre à coucher ne dure pas loin de huit ou dix minutes. J’avais beaucoup le trac et je voulais faire de mon mieux.

Mon personnage, Elsa, est une petite pute naïve et sympathique qui n’aura jamais aucun problème dans la vie puisqu’elle passera d’un homme riche à un autre. Elle a un caractère très joyeux et optimiste, comme moi. Et je pense que c’est cela qui a plu à Preminger et l’a convaincu de m’offrir le rôle.

David Niven a été absolument merveilleux avec moi, d’une gentillesse inimaginable. Il savait que cette fameuse scène serait longue et difficile à faire. Il l’a répété avec moi. Je lui ai demandé comment un grand acteur comme lui avait la patience de répéter avec une jeune débutante. Il m’a répondu : « mon petit chéri, meilleure tu seras, meilleur je serai. » Dans ses Mémoires il raconte que Otto Preminger l’a beaucoup énervé. Son côté flegmatique était incompatible avec le caractère rugueux de Preminger. Mais seul le résultat compte.

Preminger, un tyran ?

Cela s’est très bien passé. Il m’a engueulé une seule fois. Dans une scène je devais suivre une conversation des yeux. Pas facile. Preminger n’était pas satisfait. Je lui ai dit : « Monsieur Preminger, je pense… » Et il m’a interrompu en hurlant : « ne pensez pas, jouez ! »

J’étais sidérée et j’ai fait ce que j’avais à faire.

Il avait raison. Il pensait que si l’acteur se sentait trop à l’aise, il ne faisait pas de son mieux. Il avait plutôt tendance à vous foutre des fourchettes dans le cul pour vous stimuler, et à créer un climat d’angoisse et d’anxiété. Il y a certains acteurs que cela motive, et d’autres que cela tétanise. Jean Seberg faisait partie de la deuxième catégorie.

Dans le fameux plan de la fin où elle se démaquille en se regardant dans la glace – plan magnifique, elle n’arrivait pas à lui donner ce qu’il voulait. Il voulait que son visage reste impassible et que les larmes commencent à couler toutes seules. C’est très difficile à faire. Il n’a jamais réussi à l’obtenir et a du tourner la scène d’une manière légèrement différente. Une journée entière à hurler. Jean Seberg était tellement fatiguée et terrifiée qu’elle pleurait pour de bon et que les larmes lui coulait par le nez, le visage crispé…

Ils ont essayé avec des gouttes mais cela ne marchait pas non plus dans un plan très long. Jean Seberg n’a pas trouvé en elle ce désespoir intense que Preminger recherchait. Je ne suis pas sûr que je pourrais y arriver non plus.

Lorsque Preminger est allé chercher cette jeune fille fraiche et innocente au fin fond de l’Iowa, et l’a prise sous contrat, il pensait qu’il avait une petite poule aux œufs d’or. L’échec de Sainte Jeanne a été très dur à vivre pour lui et pour elle. Preminger était blessé dans son orgueil. Et elle était désespérée d’avoir déçu l’homme qui avait foi en elle. Leur relation a du changer à ce moment-là. Elle avait l’impression qu’il lui en voulait. Des fois il était gentil avec elle. Mais il était odieux lorsqu’il n’obtenait pas ce qu’il voulait. C’était un sanguin, il était colérique, virulent, il pouvait vraiment foutre la trouille.

Il a un jour faire quelque chose de dégueulasse en tournant exprès une scène de baignade avec Jean Seberg quand elle avait ses règles. Elle s’est évanouie deux fois.

Il y avait une excellente équipe sur le film. Et chaque fois que nous sortions des projections des rushes, il engueulait et trait de nuls et d’incompétents absolument tout le monde, les acteurs, les techniciens, le grand directeur de la photographie Georges Périnal, qui s’arrachait les cheveux parce que la Méditerranée changeait de couleur tous les jours. Tout le monde baissait le nez, et tout le monde souffrait. Mais c’était un jeu.

Preminger était un calculateur. Il me disait : « Pour qu’un film soit un succès, il faut que les gens se sentent tout bêtes en se disant qu’ils ne l’ont pas encore vu. » C’est pour cela qu’il choisissant toujours des sujets un peu scandaleux.

Il a choisi d’adapter Sagan parce qu’il aimait beaucoup la France, les bons restaurants, la douceur de vivre. Le succès sulfureux de Sagan lui a beaucoup plu et il a voulu l’adapter.

La sortie du film

J’ai eu la chance d’avoir des critiques à New York extraordinaires au moment de la sortie américaine du film. Le film a été mal reçu mais les critiques disaient d’aller le voir pour cette délicieuse actrice française. J’étais en transe à mon arrivée en Amérique, je suis allée à New York et Chicago. J’avais détesté l’arrivée à New York parce qu’à cause du succès d’Et Dieu créa la femme, la Française était forcément une pute, ou une fille facile qui se déshabille. On ne me posait que des questions salaces.

En France, on a crié à la trahison. Le roman de Sagan était jugé extraordinaire et le film raté, ridicule parce qu’on avait choisi deux acteurs anglais pour interpréter des Français. Quand on revoit Bonjour tristesse aujourd’hui, on se rend compte que le film est mieux que le livre, plus cruel. Je garde de ce film un excellent souvenir, à tous points de vue. »

Propos recueillis par Olivier Père le 17 avril 2012 à Paris, remerciements à Mylène Demongeot et Emilie Imbert.

Catégories : Actualités · Rencontres

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