Des filles pour l'armée

Athènes, 1942. Un an après la capitulation de la Grèce face aux bataillons mussoliniens et à leurs alliés allemands, la population est à genoux. En permission dans la capitale dévastée, le lieutenant italien Gaetano Martino est réquisitionné pour une mission : il doit "livrer" une douzaine de prostituées affamées, enrôlées comme "auxiliaires" par l’armée, dans les bordels militaires situés sur la route d’Ohrid, dans l’actuelle Macédoine du Nord, où l’attend son unité. Le sergent Castagnoli, chargé de l’épauler, et le milicien Alessi embarquent également à bord du camion. Au cours de leur périple, des relations se tissent entre les membres du convoi, bientôt pris dans les combats entre partisans et soldats ennemis… 

Asservissement 
Au cœur des montagnes grecques, le rustre Castagnoli (Mario Adorf) et la forte tête du groupe de prostituées (Ebe, interprétée par Valeria Moriconi) s’apprivoisent, entre bourrades et confidences. Très justement incarné par Tomás Milián, le jeune Martino, écœuré par les horreurs dont il est témoin, cède aux avances d’Elenitza (subtile Anna Karina), tout en n’ayant d’yeux que pour Eftikia (Marie Laforêt, bouleversante d’intensité), qui se débat avec sa haine de l’occupant et son dégoût d’elle-même. L’amour, pourtant, sera inexorablement balayé par les événements, comme en atteste le déchirant et poétique finale de cette tragédie historique signée Valerio Zurlini, adaptée d’un roman d’Ugo Pirro. Dans un noir et blanc envoûtant, au fil de plans magistralement composés qui subliment les regards, le réalisateur de La fille à la valise dépeint l’asservissement des femmes en temps de guerre, jetées en pâture à des hordes de soldats déshumanisés. "Ici, il n’y a ni supérieurs ni subalternes. Rien que des porcs, messieurs", résume un haut gradé, avant de se saisir d’une jeune femme. Nimbée de mélancolie, une charge implacable contre le fascisme et ses valeurs virilistes.