La rébellion

Le soldat Andreas Pum rentre des tranchées décoré, mais amputé d'une jambe. Fier d’avoir servi l’empereur d’Autriche sur le champ de bataille, confiant en la justice de Dieu et en celle de l’État, ce célibataire entre deux âges est persuadé d’avoir dorénavant droit à la vie heureuse qu’il mérite. À sa sortie de l’hôpital militaire, Pum obtient de la ville de Vienne une place à l’hospice et une licence pour jouer de l’orgue de Barbarie dans les rues. Là, il fait la connaissance de Willi, tourneur au chômage vivant d’expédients, qui lui propose un lit dans le réduit où il demeure avec sa compagne, petite employée contrainte à se prostituer. La chance semble à nouveau sourire à Pum lorsqu’il rencontre Katharina, une jolie veuve avec qui il va bientôt convoler… Mais une brimade que lui inflige un riche bourgeois à bord d’un autobus l’amène, pour la première fois, à questionner ses beaux principes et à sortir du rang, faisant prendre à son destin une autre tournure.

Plongée vers le nihilisme
Michael Haneke porte fidèlement à l’écran le court roman éponyme aux airs de fable satirique publié en 1924 par son compatriote Joseph Roth, dont il conserve en voix off la narration au ton ironique et au sens aigu de la formule. La voix naïve d’un antihéros presque kafkaïen qui, s’il ne jure que par l’ordre et se méfie des "païens", s’avère un homme simple et profondément bon, dont le conformisme servile et le souci des convenances se changent, face aux humiliations successives de l’armée, de la police et de la justice, en un sentiment de révolte croissant contre des institutions qui écrasent les individus… S’emparant de cette métaphore cruelle d’une société autrichienne moribonde, Haneke s’amuse avec la forme : la plongée de Pum vers le nihilisme s’habille d’un noir et blanc aux tons sépia et d’une esthétique expressionniste, comme un exercice de style en hommage au cinéma de Pabst ou Murnau.