L'échine du diable

Espagne, 1939. Son père venant d’être abattu par des franquistes, le jeune Carlos est confié aux bons soins de Carmen, la directrice d’un orphelinat isolé à la campagne. Alors que les combats se rapprochent et que les pénuries affectent l’établissement, elle se montre réticente à accepter ce pensionnaire supplémentaire. Si le garçon suscite d’emblée la bienveillance du docteur Caseres, qui partage la vie de Carmen, il est rapidement pris en grippe par Jaime, l’un de ses nouveaux camarades, mais aussi par Jacinto, le vigoureux homme à tout faire de l’établissement qui rêve de s’emparer des lingots d’or que cache Carmen pour acheter des armes aux républicains. Une nuit, Carlos est témoin d’un phénomène étrange : le fantôme de Santi, un orphelin qui a mystérieusement disparu, lui apparaît…

Faisceaux de tourments
Planté au milieu de nulle part, dans une campagne ibérique inondée de soleil, le décor est posé : un orphelinat où adultes et enfants subissent les dommages collatéraux de la guerre qui fait rage autour d’eux. À la lumière aveuglante de l’extérieur répond l’obscurité oppressante du sous-sol où une eau à profusion ne sert pas qu’à étancher les soifs… Après deux films d’horreur remarqués – Cronos (1993) et Mimic (1997) –, l’inventif Guillermo del Toro quitte à la fin des années 1990 son Mexique natal et Hollywood pour se poser en Espagne, où il trouve le soutien financier et artistique des frères Augustin et Pedro Almodóvar. Déployant une atmosphère oppressante, le futur réalisateur du Labyrinthe de Pan ou de La forme de l’eau réunit dans ce conte de fées fantastique quelques-uns des grands motifs qui irriguent, depuis, sa filmographie : les visions spectrales, les cabinets de curiosités, l’enfance malmenée, les trahisons et l’avidité humaine, et bien sûr le rôle démiurgique des fluides. D’abord, celui des bocaux où baignent des fœtus au corps monstrueux (la fameuse échine du diable du titre), le bassin souterrain où repose une innocente victime mais aussi des bidons d’essence destructeurs. Tout un faisceau de tourments qui mènent aussi bien à la révélation des crimes passés qu’au ravage d’un bien improbable havre de paix.