Voter en prison : l'Europe au défi

Elections européennes 2019

Ce 26 mai, les détenus aussi élisent leurs députés européens. Mais tous ne sont pas égaux. Quand certains pays retirent le droit de vote à leurs détenus, d’autres ne leur donnent pas toujours les moyens de l’exercer en pratique. Administration, information, confidentialité : en France et ailleurs, voter en détention reste un parcours du combattant, parfois même un fantasme.

C’est une première : à l’occasion du scrutin européen, les personnes détenues en France peuvent voter par correspondance au sein même des centres de détention. Depuis le 13 mai dernier, elles peuvent glisser en toute confidentialité leur bulletin dans une enveloppe, avant de la remettre au chef de l’établissement pénitentiaire.

Pour voter, deux autres possibilités existaient jusqu’alors : le vote par procuration et la permission de sortir. Pour François Bes, coordinateur au pôle Enquêtes de l’Observatoire international des prisons (OIP), le nouveau dispositif fera progresser la mobilisation mais pourrait provoquer la fin des permissions.

Des dysfonctionnements graves au sein de l’administration pénitentiaire.

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François Bes (Observatoire international des prisons)

Dans les établissements français, les détenus ont le droit de vote depuis la réforme du code pénal en 1994. En pratique pourtant, leur taux de participation est estimé à moins de 5%. Ainsi, lors de la présidentielle de mai 2017, seules 853 personnes détenues ont voté par procuration et 200 ont obtenu une permission de sortir.

Parmi les 56 000 détenus français autorisés à voter cette année, 10% ont manifesté leur volonté de s’exprimer, soit 5 342 personnes selon les chiffres officiels. Confidentialité mise à mal, information insuffisante, difficultés à s’inscrire sur les listes électorales : pour François Bes, de nombreux obstacles doivent encore être levés.

Chez le voisin allemand, une seule condition pour voter : avoir plus de 18 ans. Le Code électoral fédéral prévoit même la mise en place de bureaux de vote dans les maisons d’arrêt. Mais dans les faits, les quelque 65 000 détenus du pays votent surtout par correspondance. Un mode de scrutin qui prévaut également au Danemark, en Irlande et dans de nombreux autres pays du continent.

La situation allemande est pourtant peu reluisante. Pas de point d’information et peu de communication électorale dans les établissements pénitentiaires. Les partis politiques allemands peuvent prendre l’initiative d’envoyer leur programme politique aux détenus. Mais ces derniers se sentent-ils concernés ? Impossible à dire, puisque leur taux de participation n’est pas mesuré.

Comment votent les 450 000 autres détenus d’Europe ?

La situation la plus paradoxale, c’est en Belgique qu’on la trouve. Le vote y est obligatoire depuis 1893 pour tous les citoyens, sous peine d’amende, sauf les détenus. La loi du 15 avril 2009 soumet à cette obligation les détenus condamnés après cette date. Seule possibilité pour eux : la procuration, qui ne garantit pas que le vote exprimé aille dans le sens désiré et présente des difficultés administratives.

En Belgique, 35% des personnes incarcérées sont en détention préventive, privées de leurs droits alors qu'elles n'ont pas été jugées.

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Renaud-Selim Sanli (Genepi Belgique)

Dans la pratique, les détenus ne votent pas ou si peu qu’une dérogation du code électoral les fait échapper à cette obligation et à l’amende, les excluant en même temps du droit de vote. Renaud-Selim Sanli a participé à la création, il y a un an, du Genepi Belgique, une association de défense des droits des détenus.

Voter en prison : l'Europe au défi

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Avec d'autres associations, le Genepi Belgique informe les détenus sur leurs droits.

En tout, sur 11 000 détenus, 6000 d’entre eux ont le droit de vote mais n’ont pas les moyens de l’exercer. Il y a quelques semaines, le Genepi Belgique a lancé la « campagne des 6000 » pour encourager les détenus à voter et mobiliser les autorités.

Parmi les autres pays qui autorisent le vote des détenus, la Pologne fait figure de premier de la classe. Le droit de vote est garanti par la Constitution de 1991, sauf interdiction expresse par le juge. Des bureaux de vote, avec registre, isoloirs et urne, sont installés dans les prisons le jour du scrutin. Les détenus sont informés par la radio interne de l'ordre dans lequel ils sont appelés à voter, quartier par quartier, et de l'horaire prévu.

Les modalités du vote leur sont communiquées, en amont, par le personnel ainsi que par la radio, la télévision et des panneaux d’information. Des rencontres avec des candidats peuvent même être organisées. En 2015, les élections présidentielles puis législatives avaient suscité une participation de près d’un détenu sur deux (46,5 et 46%), le score le plus élevé de l’Union européenne.

L’Estonie, la Bulgarie et le Royaume-Uni resteraient aujourd’hui les trois seuls pays de l’Union européenne refusant le droit de vote à un total de près de 90 000 détenus. Principaux arguments portés par les autorités : les détenus ont rompu le contrat social et abandonné leur droit de participer à la vie de la société, et la privation de droits civiques fait partie de la punition infligée par la société aux détenus. Enfin, ces pays refusent de laisser une institution extra-nationale décider qui a le droit de vote ou non.

Quel recours pour les détenus sans droit de vote ?

Loin d’être un privilège, voter est aujourd’hui un droit garanti par le Conseil de l’Europe, son organe exécutif qu’est le Conseil des ministres, et son bras juridique, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). C’est elle qui, par ses arrêts successifs, a contraint l’Autriche ou l’Italie à modifier leur législation ces dernières années. Tout détenu qui s’estime privé, à tort, de certains droits, en violation de la Convention européenne des droits de l’homme, peut saisir la Cour.

Mais pour Fredrik Sundberg, chef du service de l’Exécution des peines à la CEDH, il est “difficile” de savoir quels pays refusent formellement le droit de vote à leurs détenus.

Le 11 avril dernier, le Royaume-Uni était condamné pour la huitième fois devant la Cour. En quinze ans, près de 2000 détenus y ont saisi individuellement la CEDH. Et si aucun n’a obtenu de compensation financière à ce jour, le litige est pourtant bien résolu à ce jour, d’après Fredrik Sundberg.

Dans la grande majorité des pays, la situation est satisfaisante, voire très satisfaisante.

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Fredrik Sundberg (Conseil de l'Europe)

Le pays aurait concédé quelques ajustements en décembre dernier, accordant le droit de vote aux détenus placés sous un régime de liberté conditionnelle ou en cas de remise de peine. Des modifications suffisantes aux yeux de la Cour.

Voter en prison : l'Europe au défi

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Le litige avec le Royaume-Uni désormais levé, ne reste plus que le dossier bulgare sur la table de la CEDH.

Mais un problème subsiste. Si la plupart des pays européens autorisent le droit de vote des détenus, tous ou presque sont aussi confrontés à un faible taux de participation des détenus, souvent inférieur à 10%. Preuve que l’intervention de la CEDH est nécessaire mais insuffisante.

Beaucoup de gens restent convaincus que si on est détenu, on n’a pas le droit de voter.

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François Bes (Observatoire international des prisons)

Quelles solutions peut-on imaginer pour simplifier l’exercice de ce droit par les détenus à travers l’Europe ? Vote électronique, urnes mobiles, instruction civique : François Bes, de l’Observatoire international des prisons, en envisage au moins trois dans le cas français.

Côté juridique, le Conseil de l'Europe suggère de restreindre les droits civiques fondamentaux uniquement en cas d'infraction "à l'encontre du processus électoral", un champ qui s'étend de la pression exercée sur un candidat ou un électeur jusqu'aux activités terroristes, en passant par la participation à un coup d'Etat ou la fraude électorale.

Louis Belin

22 mai 2019