Mais revenons aux années 1990, quand le rappeur Coolio colle son flow sur du Stevie Wonder avec Gangtsa's Paradise et que Puff Daddy s’approprie Every Breath you Take de The Police pour accoucher de I’ll be Missing You. La culture hip hop et le sample, la démocratisation de l’underground et l’accès à la technologie (mp3, baladeurs) préparent les oreilles des amateurs et les mains agiles des DJ mashupeurs. La pratique du telescopage musical prend son envol populaire dans les années 2000, à l’aube du partage de fichiers qu’on a appelé « piratage ». Alors que les ayants droits commencent à craindre pour leur porte-monnaie, la pratique du mashup (qui pose de sérieuses question de droits d’auteur) est vue dans les médias comme un acte de résistance contre l’industrie musicale, ses artistes en carton propulsés à grands coups de billets et son avarice. Le musicien Danger Mouse (co-créateur du groupe Gnars Barkley) se fait connaître en 2004 avec son Grey Album, qui mixe avec ingéniosité le Black Album du rappeur Jay-Z avec le White Album des Beatles. Les artistes concernés sont flattés par l’hommage (on a même le droit à une sortie de McCartney sur le retour aux racines noires du rock’n roll), mais la maison de disques EMI fait tout pour empêcher la diffusion (gratuite) de l’oeuvre de l’audacieux producteur. Il en aurait fallu plus pour freiner le succès populaire du mashup. Depuis l’ouverture en 2003 à San Francisco du club « Bootie », entièrement dédié aux mashups et aux bootlegs, radios, dancings et pub crasseux continuent d’organiser sans vergogne des soirées à thème. Alors que les plateformes de partage vidéo gagnent de l’influence, le mashup (qu’on écoute maintenant les yeux rivés devant le clip lui aussi mashuppé) n’est plus une niche, c’est une vraie caverne d’Ali Baba. C’est comme si le tout Youtube s’était donné le mot pour décortiquer le catalogue musical des 50 dernières années. Plus accessible que jamais, ringard par essence et depuis toujours comme la vanne de l’oncle en fin de repas de Noël, le mashup est mûr, prêt à déguster dans les meilleures conditions. Maintenant qu’on vous a ouvert l’appétit, goûtez-nous ce « match made in heaven », deux chansons faites pour se rencontrer : AC/DC et la bande-son du film Ghostbusters. Deux histoires qui se fondent pour en dévoiler une troisième, la vérité cachée : les hard rockeurs australiens auraient dû embaucher un saxophoniste.