Drexciya, la techno des abysses

Tracks - Drexciya

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Imaginez un empire aquatique ultra technologique immergé dans les profondeurs de l’océan Atlantique depuis plus de 200 ans. Inventé par Drexciya, pionniers de la techno de Détroit, le mythe des Drexciyans va refaire surface en septembre 2019 en bande dessinée. Inspirez, on plonge dans l’un des secrets les mieux gardé de Motor City !

Détroit est l’une des plus belles énigmes de notre temps : cette ville de la démesure industrielle façonne depuis plus de cent ans la musique populaire. Qu’elle soit prospère ou en proie aux pires tragédies, Motor City ne cesse de polir son diamant : la musique. L’un des plus beaux exemples se retrouve dans la musique techno imaginée par trois gamins issus des ghettos : Kevin Saunderson, Derrick May et Juan Atkins. À l’aube des années 1990, ceux qu’on appelle les Belleville Three s’imprègnent du mouvement futuriste italien et des sonorités robotiques de Kraftwerk pour créer la bande son du prochain millénaire. Alors que les pionniers composent la techno en regardant vers les étoiles, le duo de producteurs Drexciya imagine un autre courant pour sa techno en regardant vers les profondeurs de l’océan. En dix ans et une dizaine d’albums, James Stinson et Gerald Donald construisent un mythe : l’empire drexciyan. Ils se sont évertués pendant leurs années d’activité, jusqu’à la mort brutale de Stinson en 2002, à garder l’anonymat et à distiller les informations au compte-gouttes. Leurs fans les décortiquent et s’échangent les théories les plus farfelues au sein du Drexciyan Research Lab. Justement, la communauté est en ébullition depuis l’annonce en 2018 de la publication de plusieurs ouvrages sur le mythe Drexciyan, dont le premier volume sort le 14 septembre 2019, jour anniversaire des 50 ans de James Stinson. On doit ce projet à Abdul Quadim Haqq, artiste visuel de la techno de Détroit ainsi qu’à Gérald Donald. Depuis 1999, Haqq et Drexciya ont imaginé cette Atlantide et ses habitants dont l’histoire sera racontée en détails dans les bandes dessinées. Voici les premiers clichés :

Drexciya - warrior 1 (Abdul Qadim Haqq)

Drexciya - warrior 2 (Abdul Qadim Haqq)

Drexciya - warrior 3 (Abdul Qadim Haqq)

Drexciya - warrior 4 (Abdul Qadim Haqq)

Drexciya - babies underwater (Abdul Qadim Haqq)

Drexciya - bubbles (Abdul Qadim Haqq)

Vous suivez toujours ? N’enlevez pas votre scaphandre, on descend encore plus en profondeur. La suite de cette histoire nous plonge vingt mille lieues sous les mers, plus précisément dans les abysses de l’océan Atlantique. En 1997, le duo sort son premier album « The Quest » dans lequel Stinson et Donald expliquent l’origine de leur utopie aquatique : inspirés par le massacre du Zong en 1781, les Drexciyans seraient les descendants d’enfants d’esclaves africaines enceintes, jetées à la mer lors de la traversée de l’Atlantique sur les vaisseaux négriers. Drexciya conçoit dans chacun de ses disques la vie de ces humains devenus de redoutables guerriers amphibiens vivants dans un monde ultra-technologique. D’après le Drexciyan Research Lab et en attendant le livre, l’empire serait composé de différents peuples : les « Drexciyans », « Lardossans », « Darthouven Fish Men », et les « Mutant Gillmen » répartis dans différents endroits. Certains morceaux de Drexciya permettent de cartographier les différentes régions et villes de cet empire fictif : Danger Bay, The Invisible City, Vampire Island, Neon Falls et Bubble Metropolis. On vous laisse vous balader et papillonner en ville dans la magnifique Bubble Metropolis ou alors frissonner en vous aventurant vers Danger Bay.

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Alors, ce voyage vous a plu ? Avez-vous bien écouté cet album jusque dans les moindres détails ? Comme son nom l’indique The Quest ("La quête" en VF) pourrait faire office de texte fondateur du mythe Drexciyan, un nom inventé par le groupe. Lorsque l’album sort en 1997, le vinyle est accompagné d’une note mystérieuse et d’une carte que vous pouvez consulter ici. Stinson et Donald y développe leur mythologie en quatre étapes et leur mission : ramener les descendants d’esclaves en Afrique afin d’y établir un foyer durable. À la manière dont le reggae a pu mener certains rastas à revenir en Éthiopie, la techno doit permettre un retour vers la terre promise. Cette dernière étape est le scénario du film inspiré du mythe Drexciyan de Simon Rittmeier sorti en 2012. La situation géographique mondiale s’est inversée, les Européens émigrent en masse en Afrique afin de rejoindre Drexciya où les descendants d’esclaves ont crée une société technologiquement avancée.

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Les profondeurs vous plaisent ? Félicitations ! Peu s’aventurent aussi loin sur les traces du mythe drexciyan. Même si le duo a fait l’objet d’essais comme celui de l’auteure américaine Nettrice R. Gatskins. Elle y voit une allégorie des premiers esclaves à avoir brisé la chaîne du commerce triangulaire et à s’être affranchis. Cette utopie aquatique est une Atlantide noire, un espace sonore immergé dans les profondeurs permettant à son peuple d’échapper à la violence de la surface et à la captivité. Avant Drexciya, George Clinton et Parliament-Funkadelic avait aussi imaginé une Atlantide noire dans leur mythologie. Elle est mentionnée dans la chanson Deep sortie en 1978. Clinton, Bootsy Collins et Junie Morrison y chantent que ses habitants vont « élever l’Atlantide et la sortir des eaux en dansant pour l’amener jusqu’au sommet » (We need to raise Atlantis from the bottom of the sea, dancing til we bring it to the top).

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Ça y est, nous avons bientôt atteint les abysses. Mais on peut aller encore plus loin, tenez bon ! Notre guide pour ce dernier voyage vers les vraies origines du mythe s’appelle Kodwo Eshun, écrivain et chercheur en afrofuturisme. Dans un essai, il voit dans la musique de Drexciya l’allégorie des esclaves comme étant les premiers modernes. Cette idée est avancée notamment par la prix Nobel de littérature Toni Morrison dans un entretien avec l’écrivain britannique Paul Gilroy : « les Africains ayant fait l’expérience de la captivité, de l’enlèvement, de la soumission, de la mutilation et de l’esclavage sont les premiers Hommes modernes ». L’entreprise esclavagiste a jeté les bases du capitalisme moderne générant d’immenses richesses ayant permis à l’Occident de s’industrialiser. Leur descendance a fourni la main d’œuvre nécessaire au bon fonctionnement des usines de Détroit avant son déclin. En se rêvant à la tête d’un empire ultra-technologique, Drexciya a réinventée dans les abysses, un mythe créé non pas pour oublier mais pour réécrire une histoire qui leur a été volée.

27 juin 2019