Moldavie : un État pris en otage par les oligarques

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Des élections législatives sous le signe de la corruption

Arrivé en tête du scrutin proportionnel avec 31,3% des voix, le Parti socialiste du président prorusse Igor Dodon devrait obtenir 34 sièges sur les 101 du Parlement, selon les résultats préliminaires annoncés lundi par la Commission électoral. L'absence de majorité claire fait craindre une nouvelle période d'instabilité politique dans un pays profondément divisé entre partisans d'une orientation pro-européenne et soutiens d'un rapprochement avec Moscou. "La campagne (...) a été ternie par des allégations de pressions sur les fonctionnaires et de fortes indications d'achats de voix et d'abus des ressources de l'Etat", selon les observateurs de l'OSCE. La corruption généralisée est au cœur du débat politique. L’ex-république soviétique est gouvernée par des oligarques, affirment des observateurs critiques. Un homme en particulier tirerait les ficelles du pouvoir : Vladimir Plahotniuc.

Par Irina Steinhauer

Vladimir Plahotniuc est milliardaire et président du parti social-démocrate PDM, l’une des formations de la coalition gouvernementale. Il est propriétaire d’une grande partie des médias et passe pour être le personnage le plus puissant du pays au plan économique et politique. Lilia Carasciuc de Transparency International pour la Moldavie dit que cet oligarque contrôle désormais les trois pouvoirs constitutionnels. Elle critique le fait que Plahotniuc n’hésite pas à recourir à la corruption, à la manipulation et au chantage ainsi qu’à persécuter d’autres responsables politiques et leurs proches – souvent avec l'appui des autorités judiciaires pénales. Il a également la main mise sur près de la moitié du Parlement. Car depuis les élections de novembre 2014, de nombreux députés ont changé de camp pour passer au PDM. Le parti de Plahotniuc a ainsi plus que doublé son nombre de sièges et est devenu le groupe parlementaire le plus important avec 42 députés.

Adoption de lois opaques

Depuis, ce parti a fait voter une série de lois qui ont été vivement critiquées aux plans national et international. Ainsi une amnistie pour fraude fiscale adoptée l’an dernier « dans des circonstances douteuses et en procédure d’urgence », a fait savoir Maria Flachsbarth, secrétaire d’État parlementaire auprès du ministère allemand de la Coopération et du Développement.

Cette loi permet la légalisation de biens acquis illégalement moyennant une déclaration volontaire et le versement d’une taxe de 3 % sur le montant des actifs en question. L'amnistie fiscale est d'autant plus explosive que le scandale bancaire de 2015 reste une énigme : la Banque nationale de Moldavie avait alors annoncé que l'équivalent d'environ un milliard de dollars US avait disparu de trois grands établissements financiers du pays. Aucune trace à ce jour de ces fonds détournés.

Appropriation de l’État

Ce fameux "casse du siècle" et l'amnistie fiscale ne sont que deux exemples parmi tant d'autres qui montrent comment le pays est la proie des intérêts personnels d'une élite corrompue. Et qui révèlent que parler de corruption en Moldavie, ce n’est pas évoquer les petits pots-de-vin au quotidien, mais une corruption à grande échelle.

« les principaux problèmes sont la corruption au plus haut niveau, la corruption politique et l'appropriation de l'Etat ».

Selon Lilia Carasciuc, il est particulièrement grave qu'en Moldavie, les instances anti-corruption et la justice pénale qui devraient en effet surveiller les agissements illicites et lutter contre, soient elles-mêmes contrôlées par le pouvoir politique.

L’Union Européenne critique de son côté l'élite dirigeante moldave. Car avec l'Accord d'association de 2014 entre l'UE et la Moldavie, le gouvernement moldave s'était aussi engagé à lutter contre la corruption. Quatre ans plus tard, le Parlement européen dresse un bilan désabusé.

Ce rapport sur la mise en œuvre dudit accord regrette que « la République de Moldavie soit aux prises avec des intérêts oligarchiques, avec une concentration des pouvoirs économique et politique entre les mains d’un petit groupe de personnes qui exercent leur influence sur le parlement, le gouvernement, les partis politiques, l’administration publique, la police, la justice et les médias ». En réponse à une série de scandales politiques l'an passé, l'UE a interrompu le versement de l'aide macrofinancière (AMF). Le rapport précise que « toute décision concernant le versement futur de l’AMF ne devrait être prise qu’après les élections législatives prévues pour février 2019 et à la condition que ces dernières soient menées conformément aux normes reconnues au niveau international et évaluées par des organes internationaux spécialisés ».

Martin Sieg, chef du bureau des affaires étrangères de la Fondation Konrad Adenauer en Moldavie, a ajouté que l'UE serait bien inspirée de faire dépendre sa coopération avec les acteurs politiques moldaves « exclusivement des normes démocratiques et de l'État de droit et non de préférences géopolitiques ».

Une réforme électorale controversée

Bien que Plohatniuc soit capable d'influencer une grande partie de la politique et de l'économie, sa popularité parmi la population n’est pas en hausse. Selon les sondages, le PDM de Plohatniuc perdrait même la majorité au parlement - malgré un amendement controversé de la loi électorale au cours de l'été 2017.

Selon Lilia Carasciuc, cette réforme était une tentative désespérée de Plahotniuc de s'accrocher au pouvoir :

« Le dispositif de scrutin a été modifié aux dépens de toute opposition réelle ».

Il prévoit que dans près de la moitié des circonscriptions, les députés seront élus à la majorité uninominale simple, tandis que l’autre moitié sera désignée selon la proportionnelle intégrale sur listes de partis – comme cela était le cas avant pour l’ensemble des circonscriptions. Selon les critiques, seuls le PDM de Plahotniuc et le Parti socialiste pro-russe (PSRM) du président Igor Dodon ont les moyens et les structures requises pour faire campagne dans autant de circonscriptions.

Un chemin cahoteux pour sortir de la corruption

La méfiance de la population à l'égard du système politique est déjà considérable. Les affaires de corruption de ces dernières années ont fait descendre à plusieurs reprises des milliers de Moldaves dans les rues de Chișinău. Selon une enquête de l’International Republican Institute de décembre dernier, 93 % des Moldaves interrogés estiment que la corruption est un problème « important » ou « très important » dans leur pays.

Quant à savoir si les élections du 24 février apporteront un changement, la question reste ouverte. Lilia Carasciuc suppose que Plahotniuc formera une alliance de coalition avec le PSRM socialiste du Président de la République Dodon et, si nécessaire, avec le parti conservateur d'Ilan Shor. Selon elle, la Moldavie ne pourra vraiment évoluer que si elle en finit avec le système oligarchique. Cela suppose la tenue d’élections démocratiques et la mise en place d’autorités de lutte anti-corruption et de poursuites pénales efficaces.

22 février 2019