L'Afrique demande la restitution de biens culturels

Objets d'art africains

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Objets d'art africains

Bain de foule à Ouagadougou : Emmanuel Macron lors de son premier voyage en Afrique en 2017. Il s’était déjà exprimé en faveur d’une restitution des œuvres lors de sa venue au Burkina Faso.

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Bain de foule à Ouagadougou : Emmanuel Macron lors de son premier voyage en Afrique en 2017. Il s’était déjà exprimé en faveur d’une restitution des œuvres lors de sa venue au Burkina Faso.

Les institutions culturelles africaines réagissent aux précédentes déclarations d'Emmanuel Macron.

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En annonçant la restitution d’œuvres d’art africaines détenues par la France à leur pays d’origine, le président français Emmanuel Macron a lancé un pavé dans la mare. Les gouvernements des anciennes colonies ont saisi l’occasion, affichant leurs prétentions sans détour et attirant l’attention sur leurs propres musées. À Dakar, le Musée des civilisations noires inauguré récemment accueille désormais la plus grande exposition panafricaine au monde. Les institutions muséales africaines sont-elles prêtes à recevoir les œuvres qui leurs seront restituées ? Luis Nicolas Jachmann, ARTE Info

L’ouverture du Musée des civilisations noires de Dakar, après sept ans de travaux, marque une nouvelle ère pour l'identité culturelle africaine. Des œuvres restées en Europe devraient venir enrichir de nouvelles collections. Le ministre de la Culture sénégalais Abdou Latif Coulibaly se montre optimiste et est « disposé à trouver des solutions avec la France ».

À ce jour, environ 90% des œuvres d’art volées à l’Afrique se trouvent en Europe, que ce soit dans des institutions muséales de renom, dans de petits musées ou dans des collections privées. Or, depuis quelques semaines, la question de savoir à qui elles appartiennent se fait plus pressante.

Un rapport relance le débat sur la restitution

Les demandes émanant d’Afrique s’appuient sur des déclarations d’Emmanuel Macron. En effet, le président français est favorable à une restitution rapide d‘œuvres d’art africaines qui pourraient quitter les collections prestigieuses des bords de Seine pour rejoindre les musées de la région du Sahel. Il est conforté dans son idée par un rapport rédigé conjointement par l’historienne de l’art Bénédicte Savoy, qui enseigne à Paris et Berlin, et l’économiste sénégalais Felwine Sarr. Dans ce texte, les deux chercheurs préconisent de rendre les œuvres d’art africaines extorquées à l’époque coloniale à leur État de provenance. Ils proposent d’étaler cette restitution sur les cinq prochaines années. Celle-ci se déroulerait en trois étapes et comporterait notamment un inventaire des collections françaises suivi d’un forum de dialogue international avec toutes les parties prenantes.

Bain de foule à Ouagadougou : Emmanuel Macron lors de son premier voyage en Afrique en 2017. Il s’était déjà exprimé en faveur d’une restitution des œuvres lors de sa venue au Burkina Faso.

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Bain de foule à Ouagadougou : Emmanuel Macron lors de son premier voyage en Afrique en 2017. Il s’était déjà exprimé en faveur d’une restitution des œuvres lors de sa venue au Burkina Faso.

Les États africains expriment leurs revendications

Après avoir acquis leur indépendance, de nombreux États d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale ont ouvert leurs propres musées nationaux. Dans ces capitales africaines, on trouve pour partie des trésors préhistoriques qui retracent le parcours de diverses ethnies. Nombre de gouvernements africains souhaitent étoffer leurs collections en y ajoutant des œuvres restituées par les États européens.

Le Bénin s’est déjà mis d’accord avec la France afin que 26 objets en bronze lui soient rendus. La chaîne de télévision nationale béninoise s’est félicitée dès le lendemain de cette « grande victoire pour le Bénin ». Et l’État se prépare d’ores et déjà à accueillir d’autres restitutions : d’ici 2020, trois nouveaux musées devraient voir le jour, dont un musée d’art et de civilisation consacré au vaudou qui sera érigé à Porto-Novo, la capitale du pays.

La Côte d’Ivoire suit la même voie : le Musée des civilisations d’Abidjan a bon espoir de se voir restituer un célèbre tambour de l’ethnie des Atchans. En attendant, un comité ad hoc réuni à Paris a seulement quelques semaines pour préparer le retour d’une centaine d’autres objets d’art.

Plus à l’est, le musée national du Tchad situé à N’Djamena fait valoir de nouvelles prétentions. Pour son directeur, Philippe Adoum Gariam, la place des quelque 9 000 objets d’art tchadiens, qui se trouvent actuellement dans les collections françaises, serait au sein du musée national tchadien : « les collections qui sont présentées dans les musées français pourraient casser la monotonie de notre exposition permanente. Elles sont les bienvenues au musée national ». Ce musée moderne sis dans la capitale tchadienne répond aux normes internationales en matière de conservation et de mise en valeur des objets d’art.

L’Europe est-elle prête à restituer les œuvres d’art africaines ?

Le Nigeria réclame depuis plusieurs années qu’une vingtaine de bronzes lui soit rendue. Et, comme l’explique l’africaniste Jürgen Zimmerer, d’autres États africains se sentent désormais encouragés à formuler des revendications plus offensives : « Demander ou non une restitution est une décision éminemment politique pour les pays d’origine des œuvres ». Et le rapport rédigé par Sarr et Savoy ouvre grand la porte à ce type de réclamations. Toujours selon Zimmerer,

« Il marque le début d’une nouvelle ère. En Europe, on est prêt à parler de restitution. Et le moment est aussi venu de prendre au sérieux les demandes légitimes qui émanent d’Afrique et de se réunir autour d’une table pour en discuter ».

L’africaniste hambourgeois plaide pour l’adoption d’une approche novatrice afin de « partager plus équitablement le patrimoine mondial ». Il propose une solution pour que les États européens reconnaissent leur responsabilité historique et s’extraient du schéma colonial :

« La restitution de l’ensemble des droits de propriété peut se faire même si une partie des œuvres demeure physiquement en Europe ».

Tout retour qui prendrait la forme d’un prêt d’œuvres à des pays africains est exclu pour des raisons juridiques : « des œuvres d’art volées ne peuvent être prêtées ».

Mais, toujours selon Zimmerer, l’inverse est envisageable. Ainsi le Forum Humboldt de Berlin pourrait par exemple continuer à exposer une centaine de prestigieux masques du Bénin par le biais d’un prêt d’œuvres. Ce nouveau bâtiment en cours de construction dans un lieu chargé d’Histoire devrait accueillir fin 2019 des objets d’art africain issus du Musée ethnologique de Berlin. Zimmerer juge que le forum pourrait être rebaptisé « Forum Bénin » : « on reconnaîtrait ainsi que les objets arrivés ici jadis ont été volés ». Qui plus est, les droits de prêt pourraient financer l’expansion du paysage muséal en Afrique, sans tomber dans le travers d’une dépendance coloniale unilatérale. « Les infrastructures muséales y sont plus ou moins bien développées selon les pays », explique Zimmerer.

Un paysage muséal africain en pleine construction

Nombre de pays africains n’ont pas attendu pour investir dans la construction de musées susceptibles d’accueillir les œuvres d’art qui leur ont été dérobées. Le Ghana fait figure de pionnier en la matière : dès 1957 le pays, inaugurait son Musée national, premier d’une longue série puisque sept autres suivront, dont un musée consacré à la traite des esclaves.

Le Musée national du Rwanda, inauguré en 1989, a été achevé en coopération avec le Musée royal de l’Afrique centrale de Tervueren sis en Belgique. Cette dernière lui a versé une collection à valeur historique de photographies anciennes prises au Rwanda.

Oeuvres d'art à restituer

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Oeuvres d'art à restituer

Musées des civilisations majeurs en Afrique

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Musées des civilisations majeurs en Afrique

Et plusieurs pays prévoient de construire de grands complexes muséaux en 2019. La République démocratique du Congo projette de bâtir un musée national qui sera construit par la Corée du Sud. Au Bénin, trois nouveaux musées devraient voir le jour : le musée de l’épopée des rois d’Abomey, le Musée international des arts et civilisations vaudous à Porto-Novo et le Musée de l’esclavage, de la résistance et de la mémoire Toussaint Louverture à Allada. La Côte d’Ivoire elle aussi projette d’ériger un nouveau musée d’envergure.

Les doutes des directeurs de musées européens

Pour nombre de directeurs de musées de renom, l’état actuel des infrastructures africaines constitue un frein à une restitution rapide des œuvres. Le British Museum a bien prévu un échange avec le futur musée royal de Benin City au Nigeria. En revanche, nul n’évoque publiquement une éventuelle restitution rapide des œuvres, ce qui constitue une aberration pour l’africaniste allemand Zimmerer : « l’idée selon laquelle l’Afrique ne serait pas prête à accueillir ces œuvres d’art est empreinte de racisme ». À cela, le British Museum rétorque qu’il n’est pas un musée colonial, mais un musée consacré au patrimoine mondial.

Tandis que d’un côté on s’agite pour achever la construction du Forum Humboldt de Berlin pour son ouverture en grande pompe en 2019, de l’autre, Hermann Parzinger, le directeur du musée ethnologique de Berlin, s’efforce de calmer le débat autour de la restitution des œuvres : « il fallait peut-être en passer par cette décharge affective et ce débat dans l’opinion publique, mais je vous en prie : le moment est venu de laisser place à une approche scientifique sérieuse de la chose ».

Le directeur de l’AfricaMuseum sis en Belgique, Guido Gryseels, rappelle que la République démocratique du Congo a déjà fort à faire avec les collections qui sont déjà en sa possession. Ces quelque 85 000 artefacts ne seraient actuellement pas « conservés dans des conditions optimales ». L’État centrafricain s’efforce de réunir les conditions nécessaires à leur préservation en lançant la construction d’un musée national en 2019.

Quelques objets d'art africains qui ont fait parler d'eux:

Ce trône bamoun du Cameroun a été exposé au château de Versailles en 2011.

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Ce trône bamoun du Cameroun a été exposé au château de Versailles en 2011.

Cet objet en cuivre était visible lors de l’exposition « Dynasty and Divinity: Ife Art in Ancient Nigeria » qui s’est tenue à Lagos.

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Cet objet en cuivre était visible lors de l’exposition « Dynasty and Divinity: Ife Art in Ancient Nigeria » qui s’est tenue à Lagos.

La cérémonie Ato du royaume du Dahomey, qui date de 1934, est exposée à Paris au Musée du quai Branly. Le Bénin demande la restitution de ces trésors artistiques nationaux.

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La cérémonie Ato du royaume du Dahomey, qui date de 1934, est exposée à Paris au Musée du quai Branly. Le Bénin demande la restitution de ces trésors artistiques nationaux.

Joyau artistique du royaume du Dahomey, ce trône royal est exposé au musée du quai Branly à Paris. Le Bénin a adressé une demande de restitution à l’État français.

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Joyau artistique du royaume du Dahomey, ce trône royal est exposé au musée du quai Branly à Paris. Le Bénin a adressé une demande de restitution à l’État français.

Prolonger la réflexion sur la restitution

Actuellement, plus d’un milliard de personnes ne peuvent admirer les plus belles productions culturelles de leur peuple dans leur propre pays. « On pourrait envisager, à un stade ultérieur, de prêter des œuvres européennes qui seraient exposées en Afrique, afin que là-bas aussi on puisse contempler des toiles de vieux maîtres allemands ou impressionnistes », avance l’africaniste.

Les artistes berlinois Nora Al-Badri et Jan Nikolai Nelles, dont les actions artistiques laissent pantois certains directeurs de musée, se prononcent pour une restitution permanente des œuvres. Pour leur exposition « Not A Single Bone » ils ont utilisé une réplique d’un os de dinosaure du Muséum d’histoire naturelle, et ce sans l’accord de son directeur. Deux ans auparavant, ils avaient dévoilé au Caire une réplique du buste de Néfertiti sortie d’une imprimante 3D, réplique réalisée sans la permission du Neues Museum de Berlin qui expose l’original. Al-Badri et Nelles ont qualifié cette action de « restitution numérique ».

« Ces objets d’art d’autres cultures sont la matérialisation de structures de pouvoir, le résultat d’une colonisation violente », déclare Al-Badri.

Elle salue le débat qui a été lancé, mais met aussi en garde : « les coopérations entre le “Nord” et le “Sud” existent depuis longtemps. Je crains en revanche l’absence de volonté de remettre fondamentalement en cause l’essence même de certaines collections. De mon point de vue, le musée du “Nord” demeurera une machine coloniale ». Selon elle, il faudrait donc commencer par mener à bien une restitution complète des œuvres, puis laisser les sociétés du « Sud » décider de ce qu’elles feront de ces artefacts.

Le numérique offre de nouvelles possibilités car cet espace démocratique « n’est pas encore colonisé », comme le constate Al-Badri. « Il comporte un fort potentiel d’émancipation », mais, pour l’artiste, se contenter de numériser les objets qui se trouvent en Europe pour en envoyer une copie en Afrique n’est pas une bonne solution. Cela équivaudrait « à ne rien vouloir changer. Ce serait le pire usage que l’on puisse faire de la numérisation ».

Pour le philosophe Achille Mbembe, la restitution des œuvres constitue une occasion unique pour des pays comme la France de nouer des liens nouveaux avec leurs anciennes colonies. Dans une tribune parue dans Le Monde Afrique, il écrit :

« Restituer ne saurait être ni un geste de charité, ni un geste bénévole. Restituer les œuvres africaines aux Africains est une obligation, le point de départ d’un nouveau régime de circulation, sans condition et, sur l’ensemble de la planète, du patrimoine général de l’humanité »“.

Selon ce paradigme, ces dernières semaines de débat ne seraient que le début d’une énorme révolution culturelle dont l’aboutissement dépendra de la conduite qu’adopteront les puissants.

02 janvier 2019