Réparer les vivants
Serge Picaud a un rêve : rendre la vue à des patients qui l’ont perdue. Le chercheur à l’Institut de la vision à Paris a contribué à fabriquer une rétine artificielle. Résultat : sur les cinq patients qui ont pu bénéficier de ces implants, trois ont déjà retrouvé une forme de vision. “Ils ne voient pas en couleur mais ils peuvent distinguer les formes et lire les lettres”, explique-t-il. Ces recherches pourraient servir à rendre la vue à des patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), une maladie qui concerne plus d'un million de personnes en France. Comme lui, de nombreux scientifiques cherchent comment utiliser la technologie pour soigner ou aider les patients à retrouver leur autonomie.
À l'Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir), Nathanaël Jarrassé travaille sur des prothèses robotisées. Il a développé des intelligences artificielles capables de décoder les contractions du corps pour permettre à la prothèse de reproduire le même mouvement que le membre amputé ou paralysé. Pour cela, lui et son équipe s'appuient sur des techniques mises au point dans les années 60. “Cela fait longtemps que la médecine utilise les avancées technologiques pour soigner” explique le chercheur en robotique. Lunettes, semelles orthopédiques, prothèses, stimulateur cardiaque, pompe à insuline : le marché est en plein essor et les technologies sont aussi de plus en plus utilisées par des personnes en bonne santé.
Améliorer le confort des bien-portants
Aux Etats-Unis, l'armée s'intéresse de près à l'élaboration de vêtements intelligents, capables d’empêcher le corps d’adopter de mauvaises postures. “Ces technologies permettent par exemple d’améliorer les positions au travail ou de prévenir le mal de dos”, explique le chercheur. Des technologies de pointe notamment développées par Amazon. Car face à une espérance de vie repoussée et des soins de santé qui coûtent cher, de nombreux industriels, particuliers et médecins cherchent comment prévenir plutôt que guérir. Ils s’appuient sur la notion de santé, définie par l’OMS comme un “état complet de bien-être physique, mental et social”. “Cette notion de bien-être ouvre la voie à de nombreuses innovations, note Maxime Derian, anthropologue des techniques et de la santé et chercheur associé à l'Université de Paris 1. Car elle va bien au-delà de la santé strictement médicale”. Certains pourraient en effet considérer que voler ou voir dans le noir est indispensable à leur bien-être.
Repousser les limites du corps humain
“L’homme a toujours cherché à améliorer ses capacités grâce à la technique”, analyse Marc Roux. Dès lors qu’il s’est mis à cuire ses aliments au feu, ou à porter des vêtements, cela a eu un impact sur sa condition biologique. L’ancien historien préside aujourd’hui l’association française des transhumanistes Technoprog. Elle fait partie d’un vaste mouvement de pensée apparu aux États-Unis dans les années 80. Leur objectif : repousser les limites biologiques de l’être humain en utilisant les innovations convergentes des NBIC : nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et sciences cognitives. Grâce à ces avancées techniques, l’homme pourrait un jour parvenir selon eux à lutter contre la vieillesse, la maladie, la fatigue ou la mort. “Nous sommes en train de basculer dans une période où nous allons pouvoir agir volontairement sur notre évolution biologique, prévient Marc Roux. Notre rôle en tant que transhumanistes est d’en faire prendre conscience aux pouvoirs publics et aux citoyens.”
L’humain, à l’aube d’une ère nouvelle ?
Aux États-Unis, le mouvement transhumaniste est plus libéral et centré sur l’individu. Il est soutenu par plusieurs géants de la Silicon Valley. Convaincus que la machine sera un jour plus performante que l’Homme, certains comme le patron de Tesla Elon Musk ou le directeur de l’ingénierie de Google Ray Kurzweil voient dans l'augmentation des performances humaines un marché juteux. “À terme, certains adeptes du courant prônent la création d’un posthumain, une version améliorée du cerveau actuel que l’on pourrait mettre sur une puce et transférer d’un corps à l’autre”, explique Maxime Derian. D’autres, comme la fondation américaine Alcor Life Extension, proposent de conserver le corps de défunts fortunés pour les "ressusciter" si la technologie le permet un jour.
Homme augmenté ou diminué ?
Une vision futuriste inspirée des films de science fiction qui apparaît de plus en plus déconnectée de la réalité. “On médiatise beaucoup les prouesses techniques d’humains capables de bouger des mains robotiques par la force de la pensée, note Nathanaël Jarrassé. Mais dans la vie quotidienne, le combat de ces gens est bien différent”. Car il faut du temps et beaucoup d’énergie pour qu’un patient puisse apprendre comment utiliser de nouvelles techniques comme les prothèses. Et la plupart d’entre elles sont coûteuses et de ce fait peu accessibles au grand public. Pour le président des transhumanistes, c’est justement pour cela qu’il faut élargir le débat. Car l’avancée de la technologie n’attend pas. Et à l’image du smartphone, quand l’utilisateur prend conscience de ces changements, il est déjà accro et a bien du mal à faire machine arrière.