Olivier Père

L’Inexorable Enquête de Phil Karlson

L’Inexorable Enquête (Scandal Sheet, 1952) est l’adaptation d’un roman policier de Samuel Fuller The Dark Page publié en 1944 dans lequel le futur cinéaste revenait sur son expérience de journaliste. Fuller fut en effet le plus jeune reporter (à l’âge de 17 ans) de la rubrique faits divers du New York Evening Graphic, à la fin des années 20, et couvrit de nombreuses affaires criminelles. Fuller écrivit The Dark Page alors qu’il était soldat dans la Première division d’infanterie et participait aux débarquements en Afrique, en Sicile et en Normandie. Fuller était scénariste depuis 1936 et son premier long métrage J’ai tué Jesse James date de 1949. Fuller avait vendu les droits cinématographiques de son roman à H-F Productions et c’est au départ Howard Hawks qui devait réaliser le film pour le producteur Jules Furthman. Hawks finit par se désintéresser du projet et c’est finalement la Columbia qui récupéra les droits de The Dark Page. Fuller critiqua avec la véhémence qu’on lui connaissait l’adaptation de son roman et reprocha aux scénaristes d’avoir édulcoré le matériau d’origine. Il est vrai que le roman de Fuller, fleuron de littérature « pulp » comprenait des situations et des actions beaucoup trop corsées pour un film de studio, et les auteurs durent procéder à quelques réajustements. Ceci dit, Fuller est injuste au sujet de L’Inexorable Enquête qui demeure un excellent film noir, avec une intrigue riche en rebondissements et des personnages formidables. La description d’un journal qui a changé sa ligne éditoriale pour sombrer dans le sensationnalisme afin d’augmenter ses tirages est parfaitement réussie. On y voit un jeune reporter sans scrupules qui s’arrange pour débarquer sur les scènes de crime juste avant la police et parvient à extorquer des informations aux témoins en se faisant passer pour un inspecteur, tandis qu’un photographe cynique l’accompagne pour voler des clichés racoleurs. Ces indications sur les pratiques douteuses de la presse à scandale proviennent sans aucun doute des souvenirs et observations de Fuller quand il était à la place de ses antihéros. Une fois le décor planté, L’Inexorable Enquête imagine un incroyable retournement de situation. Adepte d’un journalisme d’investigation agressif et de la recherche du scoop à tout prix, le rédacteur en chef d’un quotidien new yorkais est pris à son propre piège. Auteur d’un meurtre, il tente désespérément d’empêcher son fougueux reporter, disciple admiratif, de découvrir les preuves de sa culpabilité, quitte à commettre un autre crime. L’Inexorable Enquête ne jouit pas de la même notoriété que Le Quatrième Homme (Kansas City Confidential) tourné lui aussi en 1952 mais il confirme le talent de Karlson dans le domaine du film noir. L’Inexorable Enquête est un thriller sans aucun temps mort, remarquablement photographié et mis en scène, avec de très belles séquences nocturnes et urbaines. Il bénéficie de l’interprétation de Broderick Crawford, parfait dans le rôle du rédacteur en chef arriviste et violent, qui voit ses rêves de fortune partir en fumée. Ironiquement, cette critique de la dégradation mercantile d’un quotidien respectable sortira la même année qu’un autre film sur la presse américaine, réalisé par Samuel Fuller, avec une approche beaucoup plus politique. Violence à Park Row se déroule au XIXème siècle et narre le combat d’un nouveau journal indépendant, en butte avec les magnats de la presse. Plus modeste, Phil Karlson se contente de raconter une histoire criminelle à suspens, sans toutefois négliger de lui conférer une dimension morale.

 

L’Inexorable Enquête est disponible en DVD, édité par Sidonis / Calysta.

Broderick Crawford dans L'Inexorable Enquête de Phil Karlson

Broderick Crawford dans L’Inexorable Enquête de Phil Karlson

 

Catégories : Actualités

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