Olivier Père

L’Inspecteur Harry de Don Siegel

ARTE diffuse L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971) de Don Siegel dimanche 2 juillet à 20h50, première partie d’un double programme qui se poursuivra avec Sudden Impact, le retour de l’inspecteur Harry à 22h35.

Titre majeur du cinéma policier américain, triomphe au box office de l’association entre Clint Eastwood et son mentor Don Siegel, L’Inspecteur Harry est un film symptôme qui reflète le regain de violence urbaine dans la société américaine du début des années 70. Les utopies de la décennie précédente subissent un reflux brutal et les Etats-Unis, empêtrés dans le bourbier de la guerre du Vietnam, les émeutes raciales et les scandales politiques, traversent une période noire. A Hollywood, le cinéma criminel et le western vont rendre compte de cette crise morale et sociale, avec des films critiques ou démythificateurs. A contre-courant de l’idéologie dominante parmi la nouvelle génération, L’Inspecteur Harry joue la carte de la provocation. Le héros du film est un flic violent, rebelle, misanthrope et solitaire, dans une ville symbole de la contre-culture, des mouvements pacifistes de la libération des mœurs, San Francisco. Clint Eastwood reprend certaines caractéristiques des personnages interprétés par John Wayne en y apportant sa touche personnelle. Il crée avec Harry Callahan une figure iconique de policier cynique, asocial et libertarien, aussi méprisant envers ses supérieurs hiérarchiques ou les politiciens que les délinquants qui bafouent la loi et menacent l’ordre. Son surnom de « Dirty Harry », soit « Harry le dégueulasse », s’explique par son mauvais caractère, sa détestation du genre humain et surtout sa propension à accepter avec une sorte de masochisme toutes les basses besognes que ses collègues refusent, pataugeant dans les recoins les plus sordides de la ville.

Il y a une dimension humoristique non négligeable dans la caractérisation par Eastwood de ce héros négatif qui ne supporte pas les bons sentiments, exagère son machisme laconique, son dégoût du monde contemporain et déclenche presque malgré lui les explosions de violence. L’Inspecteur Harry aurait pu devenir un film caricatural ou vulgairement réactionnaire si Don Siegel ne transcendait pas le scénario par une mise en scène au formalisme éclatant, d’une beauté folle qui frôle parfois l’abstraction. La virtuosité et le style spectaculaire de Siegel apportent beaucoup de complexité et d’envergure à cette chasse à mort dans San Francisco entre Harry Callahan et le tueur en série Scorpio, véritable émanation diabolique d’une société malade. Scorpio incarne la perversité du Mal, avec une sauvagerie qui se dissimule derrière les oripeaux de la contestation – il porte les cheveux longs et arbore un ceinturon avec le symbole « peace and love ». Siegel filme son visage poupin masqué ou déformé par la haine et la souffrance physique, transformé en bête hurlante dans des plans dignes d’un film d’horreur. L’Inspecteur Harry invente la figure du tueur psychopathe qui va hanter le thriller moderne. Siegel optimise les décors urbains de San Francisco, magnifiés par l’écran large, et en explore les espaces publics, des toits des gratte-ciel lors de la scène d’ouverture – premier meurtre d’une jeune femme dans une piscine – jusqu’au duel final à la périphérie de la ville, après une course poursuite dans un bus scolaire. Les mouvements de caméra, le choix des cadrages, loin de magnifier la violence, parviennent à souligner l’ambigüité du film et signifier la distance que prend le réalisateur avec les méthodes expéditives de l’inspecteur Harry, sans pour autant les condamner explicitement. Lorsque Harry à l’issue d’une traque nocturne torture Scorpio pour lui extorquer des informations qui pourraient sauver la vie d’une otage, la caméra s’éloigne dans un vertigineux mouvement d’hélicoptère jusqu’à ce que les deux hommes ne soient plus que deux points au centre de la pelouse du Kezar Stadium. Est-ce pour Siegel le moyen de se désolidariser de son protagoniste qui franchit la ligne de la loi, ou au contraire de l’absoudre de ses actes en adoptant – les signes religieux occupent une place importante dans le film – le point de vue divin? Cette question, et beaucoup d’autres, font de L’Inspecteur Harry un film passionnant sur le plan philosophique et moral, non pas au-delà mais en raison de ses immenses qualités cinématographiques.

Clint Eastwood dans L'Inspecteur Harry de Don Siegel

Clint Eastwood dans L’Inspecteur Harry de Don Siegel

 

 

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