Olivier Père

L’Invasion des profanateurs de Philip Kaufman

Sous-estimé au moment de sa sortie, à une époque où les remakes étaient mal vus, L’Invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers, 1978) de Philip Kaufman est pourtant un film extraordinaire qui anticipe de quelques années un tir groupé de relectures de quelques petits ou grands classiques du cinéma américain par une nouvelle génération de cinéastes, qui vont elles aussi subir le dédain de la critique avant d’être partiellement ou totalement réhabilitées : The Thing (1982) de John Carpenter, La Féline (1982) de Paul Schrader, Scarface (1983) de Brian De Palma.

Kaufman avait ouvert la voie. Rien d’étonnant de la part d’un cinéaste qui donna le meilleur de lui-même dans la première moitié de sa filmographie, en s’intéressant aux grandes mythologies de l’histoire et de la civilisation américaines (western, fantastique, science-fiction, rock n’ roll), jusqu’à son chef-d’œuvre L’Etoffe des héros en 1983, sur la conquête spatiale. Sa version de L’Invasion des profanateurs est moins un remake du film de Don Siegel qu’une nouvelle adaptation du roman de Jack Finney, publié en 1955. L’histoire reste semblable. Des extraterrestres prennent peu à peu possession de la Terre en remplaçant les humains. Ces derniers sont dupliqués dans leur sommeil par un organisme végétal qui en fabrique des doubles parfaits, puis détruit les originaux. La planète devient ainsi peuplée d’êtres nouveaux qui conserve une enveloppe humaine mais ne possèdent plus le moindre affect ou sentiment. Quelques personnes prennent conscience de cette invasion invisible et tentent désespérément d’y échapper. Ce grand classique de la science-fiction paranoïaque peut se prêter à différentes lectures selon les époques ou les obédiences politiques. Le film de Siegel, produit en pleine Guerre froide, illustrait la menace d’une cinquième colonne communiste au cœur de l’Amérique. Il dénonçait en même temps l’hystérie du Maccarthysme qui soupçonnait derrière chaque citoyen un espion marxiste. Philip Kaufman choisit de délocaliser l’action de son film d’une paisible bourgade à une grande métropole – San Francisco. Ce n’est plus la peur du communisme qui anime le projet de Kaufman mais celle de l’aliénation moderne dans une société consumériste et déshumanisée. Ce n’est pas un hasard si les premiers soupçons naissent au sein d’un jeune couple bourgeois en proie à la routine. La reproduction quotidienne des mêmes gestes, dans le travail et l’intimité, la froideur des relations sociales, l’anonymat et l’indifférence des foules dans les villes annoncent déjà, avant même qu’elle ait eut lieu, l’invasion extraterrestre qui supprime la notion d’individualité et de pensée indépendante. Les uniques résistants décrits par le film sont des rescapés de la culture hippies, doux rêveurs sympathiques et anticonformistes, intellectuels et romantiques qui seront bientôt assimilés comme les autres par une vague destructrice, qui ressemble davantage dans la version de Kaufman à la société de consommation débilitante qu’au péril rouge.

Brooke Adams dans L'Invasion des profanateurs de Philip Kaufman

Brooke Adams dans L’Invasion des profanateurs de Philip Kaufman

Formellement, le film de Kaufman est passionnant : mise en scène inventive et inspirée, qui fait naître progressivement l’angoisse grâce à des détails insolites, des plans ou des éléments de décors qui signalent l’immanence d’un danger diffus. Dès son générique et son prologue, avec l’éclosion d’étranges fleurs venues de l’espace, le film de Kaufman apporte quelque chose d’insolite et de neuf à la science-fiction. Cette impression sera confirmée par la suite du film, qui mêle avec bonheur différents registres, et contient plusieurs moments drôles avant le basculement dans l’horreur la plus glaçante. La photographie assez géniale est signée Michael Chapman qui renouvelle ici ses audaces chromatiques de Taxi Driver. Chapman et Kaufman ont travaillé ensemble à plusieurs reprises et il faut citer le film qu’il feront juste après L’Invasion des profanateurs, Les Seigneurs (The Wanderers, 1979), une autre merveille trop méconnue du cinéma américain. Comme Scorsese, Coppola, De Palma et d’autres cinéastes de cette génération, Philip Kaufman a été influencé par le cinéma européen et on peut déceler dans L’Invasion des profanateurs des touches modernistes empruntées à Antonioni – le sujet s’y prête. Si les effets spéciaux maquillages sont excellents et souvent impressionnants, L’Invasion de profanateurs est avant tout remarquable pour son interprétation, dominée par Donald Sutherland et Brooke Adams. Le couple qu’ils forment à l’écran est très émouvant et participe à l’ambition de Kaufman d’évacuer tous les clichés inhérents au genre. Nous sommes devant un film de science-fiction adulte, qui ne renonce pas pour autant à un imaginaire hérité de la culture populaire.

L’Invasion des profanateurs est disponible en DVD et Blu-ray pour la première fois en haute définition chez Rimini Editions, avec de nombreux compléments.

 

 

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