Olivier Père

La Longue Nuit de l’exorcisme de Lucio Fulci

Après une belle édition du Venin de la peur, Le Chat qui fume poursuit son exploration du « giallo » et de la filmographie de Lucio Fulci avec un nouveau titre qui compte parmi les meilleurs du cinéma criminel italien, proposé dans un combo Blu-ray / DVD dont les qualités techniques et éditoriales devraient satisfaire les amateurs de sensations fortes. On veut parler de La Longue Nuit de l’exorcisme (Non si sevizia un paperino). Traduction littérale du titre original : « on ne torture pas un petit canard. » Le film fut réalisé en 1972 mais sortit en salles en France seulement en 1978, dans l’indifférence générale, avec un titre mensonger copié sur L’Exorciste de Friedkin qui datait de 1973. Le film de Fulci ne comporte aucune scène d’exorcisme, de jour comme de nuit. Il y est question d’une série de meurtres d’enfants dans un petit village du Sud de l’Italie (le film a été tourné dans la région des Pouilles.) L’enquête policière multiplie les fausses pistes. Une sorcière (Florinda Bolkan), accusée à tort par les villageois, sera impitoyablement lynchée. Une jeune citadine aux mœurs dissolues (Barbara Bouchet toujours aussi sexy) et un journaliste (Tomas Milian exceptionnellement sobre) vont se lancer sur la piste du véritable criminel.

La Longue Nuit de l’exorcisme appartient à une tendance faste de la carrière de Lucio Fulci : le thriller morbide. Le réalisateur italien avait auparavant signé dans ce registre deux excellents films bis : Perversion Story (Una sull’altra, 1969, variation glauque autour de Vertigo) et Le Venin de la peur (Una lucertola con la pelle di donna, 1971). La Longue Nuit de l’exorcisme est un giallo atypique puisqu’il délaisse les grandes métropoles et les milieux bourgeois ou mondains pour la campagne méridionale, pauvre et archaïque. Mais il s’agit une nouvelle fois d’explorer les zones les plus troubles de la sexualité et les pathologies mentales, avec une galerie de personnages inquiétants, fanatiques ou désespérés. Le scénario très pervers de Fulci fustige l’obscurantisme religieux du monde rural, les superstitions mais aussi le puritanisme délirant du catholicisme. Certaines séquences ultraviolentes dépassent le sadisme habituel du « giallo » et annoncent les outrances sanglantes mais aussi l’illogisme narratif des films d’horreur en forme de cauchemars ou d’hallucinations que Fulci réalisera quelques années plus tard.

Barbara Bouchet dans La Longue Nuit de l’exorcisme de Lucio Fulci

La Longue Nuit de l’exorcisme était le film préféré de Lucio Fulci. C’est sans doute dans ce film qu’il exprime avec le plus de force son goût de la cruauté, en rattachant à la réalité socioculturelle italienne, ses paradoxes et ses contradictions, son obsession de la violence. C’est aussi, peut-être, l’un de ses films les plus soignés et puissants sur le plan de la mise en scène, avec une maîtrise technique parfois impressionnante. La qualité de l’interprétation – La Longue Nuit de l’exorcisme s’apparente à un film choral – porte elle aussi le film au-delà de ce qu’on pouvait attendre du cinéma de genre italien de l’époque.

La Longue Nuit de l'exorcisme de Lucio Fulci

La Longue Nuit de l’exorcisme de Lucio Fulci

On a le droit de trouver le traitement du sujet racoleur et grossier. Le film choque autant par sa violence que par sa misanthropie. Mais il faut voir La Longue Nuit de l’exorcisme pour comprendre enfin que dans l’Italie des années 70, les films aujourd’hui classés dans la catégorie « exploitation » n’étaient pas obligatoirement des productions bâclées ou ineptes. Lucio Fulci, étiqueté « artisan du cinéma populaire », était loin d’être un tâcheron et a développé des thématiques personnelles et une approche ambitieuse de la mise en scène, jusque dans l’enfer du bis transalpin.

 

 

 

 

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