Olivier Père

Entre le ciel et l’enfer de Akira Kurosawa

Réalisé trois ans après Les salauds dorment en paix, toujours en Tohoscope noir et blanc avec le grand Toshiro Mifune dans le rôle principal, Entre le ciel et l’enfer (Tengoku to jigoku, 1963) utilise une partie d’un roman de Ed McBain, célèbre auteur américain de chroniques policières, Rançon sur un thème mineur. Il ne s’agit nullement d’une imitation du cinéma de genre occidental, comme on l’a trop souvent dit. Kurosawa décide de traiter du kidnapping, une pratique alors très répandue au Japon et peu punie. Le directeur d’une fabrique de chaussures, en conflit avec ses administrateurs, est sur le point de prendre le contrôle de la société en rachetant plus de la moitié des actions, au prix de l’hypothèque de sa fortune. Le même jour, il apprend qu’un enfant, compagnon de jeu de son fils, a été enlevé et que le ravisseur exige une rançon de trente millions de yens. La structure hétérogène du film surprend par son étrangeté, et malmène l’idée de Kurosawa grand cinéaste classique. La première partie, un huis clos tendu à l’extrême, illustre le dilemme d’un homme en proie au chantage, qui doit choisir entre sa fortune acquise au prix d’une vie de labeur et la sécurité de l’enfant de son chauffeur. Kurosawa transcende l’argument policier ou satirique (le monde des affaires y est décrit dans sa rudesse impitoyable) pour évoquer avec concrétion des enjeux moraux et philosophiques. La seconde partie suit avec une minutie documentaire l’enquête de l’inspecteur de police et de ses agents mobilisés pour démasquer et piéger le ravisseur. Les scènes de commissariat, où Kurosawa met en scène des groupes humains avec un sens des volumes digne des peintres de la Renaissance, alternent avec des plongées dans la fourmilière urbaine des métropoles et des banlieues. Une séquence presque onirique de filature dans le quartier des junkies et des prostituées, épaves entre la vie et la mort, renvoie aux visions infernales de Dante et annonce les bas-fonds du sublime Dodes’ Ka-den. Les salauds dorment en paix et Entre le ciel et l’enfer partagent enfin la soudaineté et la cruauté glaçantes de leur conclusion, d’un pessimisme radical. Celle du premier film, où triomphe l’injustice, vient donner son sens au titre. La séquence finale du second montre la confrontation entre le criminel et sa victime, séparés par la grille d’un parloir de prison, et l’ébauche d’un dialogue impossible où se bousculent les notions de pardon, de haine et de crainte de la mort. Souvent comparé à Shakespeare et Dostoïevski, Kurosawa rejoint ici, dans sa noirceur et sa profondeur psychologique, un autre grand scrutateur de l’âme humaine, Simenon.

Entre le ciel et l'enfer de Akira Kurosawa

Entre le ciel et l’enfer de Akira Kurosawa

 

Comme Les salauds dorment en paix et Les Bas-fonds, Entre le ciel et l’enfer sera disponible à la vente le 3 mai en coffret Blu-ray / DVD dans la collection Akira Kurosawa – les années Toho, édité par Wild Side Vidéo.

Catégories : Actualités

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