Olivier Père

Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution de Jean-Luc Godard

Cette « étrange aventure de Lemmy Caution » plonge l’agent secret joué par Eddie Constantine (photo en tête de texte), vedette américaine habituée aux séries B à la française, dans l’univers de Jean-Luc Godard, période Anna Karina. Soit cinq années d’intense créativité au cours desquelles Godard enchaîne titres sur titres, avec une imagination folle qui va révolutionner la manière de faire des films. Le directeur de la photographie Raoul Coutard est le complice indispensable de ces expériences de tournages où Godard semble réinventer le cinéma, dans des films où les idées le disputent aux émotions, où la poésie jaillit des sons et des images. Alphaville (1965) est un faux polar futuriste qui transforme Paris en ville totalitaire, dans une galaxie qui ressemble aux cités et aux régimes totalitaires du XXème siècle. Alphaville et ses habitants sont contrôlés par un super ordinateur, Alpha 60, dont on n’entend que la voix métallique. Cette intelligence artificielle omnisciente précède de cinq ans le HAL 9000 de 2001, l’odyssée de l’espace. La science-fiction selon Godard n’a bien sûr rien à voir avec un cinéma de maquettes, de décors et d’effets spéciaux. Le coup de génie du cinéaste est d’inventer un univers futuriste en ne tournant que dans des lieux préexistants. Godard utilise des bâtiments aux architectures modernes récemment inaugurés comme la Maison de la Radio ou le premier immeuble du futur quartier de La Défense, mais aussi des extérieurs et intérieurs ordinaires qu’il transfigure par de simples déplacements et son art du cadrage. Godard pratique aussi un art du collage, visuel et littéraire, avec un réseau de citations : Alphaville est à la fois un hommage à Orson Welles et à Jean Cocteau, un poème urbain qui cite Metropolis de Fritz Lang et Capitale de la douleur de Paul Éluard, un essai philosophique dans lequel le cinéaste questionne l’idée de liberté et le rôle du langage. Il s’agit pour Godard de chercher la définition juste des choses, avec les outils du cinéma. Le thème de la prostitution, central chez Godard, traverse Alphaville qui décrit un monde invivable où les sentiments humains sont bannis, où le corps n’est plus qu’une marchandise. Aux côtés d’une Anna Karina toujours aussi belle et émouvante, Eddie Constantine promène sa présence virile et fatiguée, impeccable.

Ce chef-d’œuvre traversé de fulgurances et d’idées magnifiques précède de quelques mois seulement un autre hymne à l’amour et à la révolte, Pierrot le fou.

La Collection Godard
Coffret 7 Blu-ray 7 DVD, avec de nombreux suppléments et un livre inédit de 80 pages : A bout de souffle, Le Petit Soldat, Une femme est une femme, Le Mépris, Alphaville, Pierrot le fou, Made in USA.
Le 16 mai à la vente chez Studiocanal.

Catégories : Actualités

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