Olivier Père

Les Frissons de l’angoisse de Dario Argento

Dans le cadre de son printemps du polar, ARTE diffuse Les Frissons de l’angoisse (Profondo rosso, 1975) de Dario Argento, dans sa magnifique version restaurée et intégrale dimanche 19 mars à 23h30. Le même soir que Blow Out, ce qui n’est pas une coïncidence de programmation. Les films d’Argento et De Palma entretiennent un rapport étroit avec un troisième titre, Blow Up de Michelangelo Antonioni qui servit de matrice à de nombreux thrillers, obscurs ou célèbres, lors des deux décennies qui suivirent sa réalisation. Coppola fut chronologiquement le premier à pouvoir revendiquer l’héritage de Blow Up avec Conversation secrète, Palme d’or à Cannes en 1974. Un an plus tard, Argento reprend l’acteur britannique David Hemmings (photo en tête de texte), le photographe du film d’Antonioni, pour le plonger dans une nouvelle enquête angoissante et ésotérique. A sa manière, bien sûr.

Après trois thrillers à succès qui relancèrent la mode du film à suspens en Italie – les fameux « gialli » – Dario Argento décide de tourner une intrigue policière où les explications rationnelles et psychanalytiques seraient occultées par la folie, l’horreur et le fantastique, dans une mise en scène déchaînée. Il choisit pour cadre Turin, capitale européenne de la magie noire. Les Frissons de l’angoisse demeure l’un des meilleurs films d’Argento et un chef-d’œuvre du cinéma d’épouvante moderne mais c’est avant tout une expérience esthétique hors du commun.

Dans Les Frissons de l’angoisse, Argento prend ses distances avec la notion de réalisme, et même de narration cinématographique classique. Les séquences nocturnes, les plages silencieuses ou musicales, les meurtres sanglants, filmés comme des rituels sadiques annoncent les futurs sabbats psychédéliques de Suspiria et Inferno. Argento systématise aussi son recours aux inserts macroscopiques sur des objets et fétiches, filmés avec une caméra spéciale, qui symbolisent la psyché perverse du tueur lors de séquences autonomes et musicales.

Argento imagine un monde entre fantasme et cauchemar où le rock lourd des Goblins, la peinture métaphysique de De Chirico, les tableaux d’Edward Hooper et l’architecture turinoise sont convoqués pour créer un opéra visuel et sonore qui propose en outre une approche sémiologique des images. Argento, cinéaste cinéphile, en s’inspirant de Blow Up d’Antonioni, délivre une pensée intuitive sur l’art, l’illusion et la réalité. Dès son premier giallo, L’Oiseau au plumage de cristal, Argento s’imposait en virtuose maniériste de la peur. Cinéphile, il jouait déjà avec la croyance du spectateur dans les images, en faussant les perspectives et les points de vue.

Argento, avec son approche intuitive du cinéma, n’en demeure pas moins un cinéaste plasticien. Dans ses films la résolution de l’énigme se dissimule toujours dans un élément de décor, un miroir, un tableau, un motif de papier peint ou même une image imprimée sur la rétine. Une image cache une autre image, une surface neutre et plate peut contenir un terrifiant secret. Les Frissons de l’angoisse en offre la démonstration la plus brillante, avec une idée géniale sur laquelle s’ouvre et se referme le film. Les sens du spectateur sont trompés en même temps que ceux du personnage principal. Ce sont souvent d’œuvres d’art, manifestations extérieures d’un inconscient tourmenté, que jaillissent littéralement les pulsions mortelles dans les films d’Argento.

La version intégrale des Frissons de l’angoisse, longtemps invisible en France, est plus longue d’environ trente minutes. Chez nous le film avait été sévèrement tronqué par le distributeur qui l’avait transformé en petit film d’horreur incohérent. Le montage italien restitue les visions du cinéaste dans toute leur splendeur baroque, mais aussi des intermèdes humoristiques où le musicien et la journaliste, détectives en goguette, s’étrillent sur le thème du féminisme, écho lointain de la « screwball comedy » hollywoodienne.

 

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