Olivier Père

Les Vikings de Richard Fleischer

Dimanche 18 décembre à 20h50, ARTE diffuse Les Vikings (The Vikings, 1958) de Richard Fleischer, pour saluer le centième anniversaire de Kirk Douglas (photo en tête de texte), né le 9 décembre 1916 dans l’état de New York.

Kirk Douglas est non seulement la vedette – entouré de Tony Curtis et Janet Leigh – mais aussi le producteur des Vikings. Sur le modèle de Burt Lancaster, Kirk Douglas se lance en effet dans la production avec sa société Bryna Productions, et produit à partir de 1955 plusieurs films ambitieux et souvent de grande qualité, comme La Rivière de nos amours d’André de Toth, Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, Liaisons secrètes de Richard Quine ou Les Vikings, dans lesquels il s’arroge le rôle principal. Les Vikings marque la seconde collaboration entre Richard Fleischer et Kirk Douglas, après la superproduction Disney 20.000 Lieues sous les mers en 1954. Ces deux films peuvent être considérés sans exagération aucune comme des chefs-d’œuvre absolus du cinéma d’aventure. Les Vikings surpasse peut-être l’adaptation de Jules Verne car il est plus complexe, violent, tourmenté. Avec Les Vikings, Fleischer fait entrer le grand spectacle hollywoodien dans son ère critique et réflexive. Les Vikings est l’histoire d’une lutte fratricide entre deux hommes qui se vouent une haine farouche, instinctive, avant de découvrir, trop tard, qu’ils sont nés du même père, un chef Viking en guerre contre les Anglais. Au conflit entre deux peuples, fait de trahisons, d’alliances tactiques et d’expéditions bellicistes se superpose une tragédie intime autour de la quête de l’identité et de la confusion psychologique. Kirk Douglas y interprète un guerrier barbare et sensuel, ivre de vengeance, aveuglé par sa haine. Un tel personnage tranche par sa violence et sa négativité avec les héros des récits d’aventures classiques. Il apparaît comme un chef névrosé et autodestructeur, en conflit avec lui-même et en rivalité avec d’autres figures masculines comme son frère caché. La compétition virile des deux hommes, qui vont désirer la même femme, s’exprime de manière particulièrement brutale, dès leur première rencontre. Einar (Kirk Douglas) a un œil arraché par les serres du rapace d’Erik (Tony Curtis), dont la main sera ensuite tranchée. Kirk Douglas, défiguré durant la majeure partie du film, arbore un visage en forme de masque grimaçant, lorsqu’il ne porte pas un casque étrange, lors de la bataille finale, qui achève de le rendre monstrueux, inhumain. Ces mutilations ou altérations subies par les corps de deux vedettes masculines sexuellement attractives d’un film à grand spectacle ne se contentent pas d’apporter un surcroît de véracité à une histoire pleine de bruit et de fureur. Elles marquent de manière ostentatoire la fin de l’innocence du cinéma d’aventure américain, de plus en plus marqué par la psychanalyse et les séquelles des grands conflits du XXème siècle. Les Vikings se rapproche ainsi des westerns réalisés par Anthony Mann à la même époque, qui font de la violence – autant morale que physique – leur grand sujet. La modernité du chef-d’œuvre de Fleischer est également formelle. Le duel final, par la plasticité quasi abstraite de sa mise en scène, entre ciel et terre au sommet d’une tour, avec deux combattants transformés en bêtes sauvages, constitue un sidérant morceau de bravoure, qui inaugure peut-être une nouvelle conception de l’action dans le cinéma américain. La réussite des Vikings est liée à l’association de formidables talents devant et derrière la caméra. Tous les acteurs sont parfaits. Le scénariste Calder Willingham a souvent apporté des touches modernistes aux genres hollywoodiens puisqu’il collabora à plusieurs reprises avec Stanley Kubrick (sur Les Sentiers de la gloire, Spartacus et le western La Vengeance aux deux visages finalement réalisé par Marlon Brando) avant d’écrire les scénarios du Lauréat et de Little Big Man. Le génial directeur de la photographie Jack Cardiff, prince du Technicolor, compose des images somptueuses, passant de larges plans d’ensemble sur des paysages grandioses à des cadres serrés chargés de tension et de violence dans les scènes intimes, d’amour ou de guerre. Cette remarque s’applique aussi à Richard Fleischer, cinéaste de l’action et du grand spectacle, qui a pourtant démontré tout son talent dans l’expression de pathologies secrètes, avec des histoires confinées dans des espaces claustrophobes, comme si le cerveau humain était au bout du compte le seul véritable décor – et sujet – de tous ses films.

 

 

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