Olivier Père

Les flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer

« Le meilleur film jamais consacré à la police de Los Angeles. » C’est un spécialiste qui l’a dit, James Ellroy, lors d’un récent débat à la Cinémathèque française. On ne peut que lui donner raison. Carlotta permet enfin de revoir Les flics ne dorment pas la nuit (The New Centurions, 1972) en DVD et Blu-ray.

De retour aux Etats-Unis après trois tournages européens Fleischer réalise l’un de ses meilleurs films mais aussi l’un des plus beaux films américains des années 70, qui confirme une nouvelle fois le talent mais aussi l’acuité politique, l’humanisme du cinéaste.

A Los Angeles, une nouvelle recrue (Stacy Keach) de la police est associée à un vétéran (George C. Scott), pour les patrouilles de nuit. Les flics ne dorment pas la nuit est une chronique qui se déroule sur une durée de plusieurs mois, constituée de différents épisodes de la vie professionnelle, et parfois intime, d’un groupe de policiers à Los Angeles. La première vertu de ce film, c’est son réalisme et sa dimension prolétarienne. Fleischer montre, fait rare, la vie quotidienne des simples policiers en uniformes, qui arpentent la ville de jour comme de nuit, confrontés à la violence et à la misère sociale du monde moderne. Fleischer filme leur travail avec honnêteté, au ras du bitume, adoptant un style presque documentaire. Il n’a pas peur de se confronter au sordide et à briser certains tabous. Le jeune flic sombre dans l’alcoolisme et boit pendant son service. Une intervention révèle un cas dramatique de maltraitance sur un nourrisson. Une bavure policière ou la mort d’un flic dans la rue sont filmées comme des accidents aussi absurdes que tragiques.

Stacy Keach et George C. Scott dans Les flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer

Stacy Keach et George C. Scott dans Les flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer

Fleischer filme aussi les doutes, les colères, les angoisses des flics sans sombrer dans la démagogie et sans jamais oublier l’importance de la dramaturgie, et encore moins la précision et l’élégance de la mise en scène.

La scène du suicide du personnage interprété par Scott, peu de temps après son départ en retraite, ne possède guère d’équivalent dans le cinéma américain. Comme si la poésie épique rencontrait la rubrique faits-divers.

Le film est adapté – par le scénariste Stirling Silliphant – d’un roman de Joseph Wambaugh, écrivain qui avait été policier à la LAPD avant sa reconversion littéraire et compilait dans « The New Centurions » ses observations et ses souvenirs de patrouille de manière à peine romancée. Les flics ne dorment pas la nuit malgré quelques admirateurs éparpillés dans le monde, et dont le nombre devrait augmenter grâce à cette édition numérique française, n’a pas encore la réputation qu’il mérite. Il fut même à l’époque de sa sortie taxé de fascisme par la critique, à l’instar de L’Inspecteur Harry, parce qu’il s’intéressait au sort de la police en adoptant le point de vue d’une recrue idéaliste. Rien de plus faux et de plus stupide : le film de Fleischer ne possède pas l’ambigüité géniale du film de Don Siegel. Il est juste d’un pessimisme et d’une lucidité à la limite du supportable, et profondément humain.

 

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4 commentaires

  1. Bertrand Marchal dit :

    Beau film à l’aspect quasi documentaire. Je peux imaginer que Hill Street Blues et Les Rues de San Francisco s’en sont inspiré. La scène avec les prostituées emmenées dans le fourgon est excellente, et la scène du suicide est une des deux plus puissantes que j’ai pu voir au cinéma; l’autre étant celle du Colonel Redl (grand film aussi).

    Décidément Fleischer était un maître et il est invraisemblable qu’il ait fallu tant de temps à la critique pour le reconnaître. Il n’a même pas pu jouir de ce statut de quasi icône comme ce fut heureusement le cas pour Eastwood qui a lui aussi été longtemps conspué (à ce titre, la conférence de presse de Pale Rider à Cannes est exemplaire pour mesurer le fossé qui sépare les jugements d’hier de ceux d’aujourd’hui -même si il faut admettre que Pale Rider n’est pas le meilleur Eastwood).

    Pour revenir à Fleischer, une chose m’est incompréhensible, c’est la totale médiocrité des ses dernières productions, comme si il avait perdu du talent à la fin des années 70, ou la volonté de s’affirmer. La fin de carrière n’est pas minable, mais indigne de lui.

  2. Olivier Père dit :

    Bonjour,
    je pense que cela s’explique ainsi : la réception désastreuse aux Etats-Unis de Mandigo, film très ambitieux, a sonné le glas de la carrière de Fleischer. Après ce fiasco, il n’a pas eu d’autre choix que d’accepter des commandes, des projets refusés par tout le monde, en restant au service de Dino De Laurentiis (qui avait produit Mandigo) qui lui proposait ses pires productions.

  3. Bertrand Marchal dit :

    Vous avez sans doute raison. Je ne connais pas ce film.
    La chose qui reste surprenante pour moi est la réévaluation si tardive de l’œuvre de Fleischer, réévaluation complète, drastique qui a lieu après sa mort. Comme si il avait fallu qu’il disparaisse pour que la critique vive une épiphanie de nature copernicienne.
    Comment expliquer l’obscurité relative de sa carrière, qui n’a jamais été reconnue comme celle d’un auteur au sens plein, de son vivant?

    Etrange et amer destinée.

  4. Bertrand Marchal dit :

    amère destinée…

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