Olivier Père

Eclairage intime de Ivan Passer

Malavida ressort Eclairage intime (Intimní osvetlení, 1965), le premier long métrage d’Ivan Passer, mercredi 16 novembre dans les salles en version restaurée.
Avant son départ précipité pour les Etats-Unis au moment de la répression du printemps de Prague, Ivan Passer n’aura eu le temps de réaliser qu’un seul long métrage, contre trois pour son inséparable ami Milos Forman. Une avance que Forman conservera toute sa vie, sans doute plus habile, opportuniste et caméléon que le discret Passer, modèle d’honnête homme qui fit passer ses principes éthiques avant sa carrière, et ne parviendra pas à surmonter les échecs publics de ses premiers films américains, pourtant géniaux.

Eclairage intime impose d’emblée le talent et la personnalité de Passer, scénariste et cinéaste phare du nouveau cinéma tchèque des années 60. Imposer n’est sans doute pas le mot juste puisque l’art de Passer consiste dès ses débuts à n’avoir l’air de rien, à avancer par touches subtiles, litotes et digressions, sans véritablement prendre la peine de raconter une histoire. Passer procède par notes, croquis, descriptions physiques et psychologique, tel un moraliste ou un satiriste du cinéma. Son cinéma doit autant à la musique qu’à la littérature, capable d’exprimer sans les souligner des émotions ou des idées. Eclairage intime est une comédie expérimentale et subversive, qui réunit différents caractères sous le même toit, le temps d’un bref séjour à la campagne propice aux retrouvailles entre deux amis, anciens camarades du conservatoire. L’un est devenu soliste violoncelliste à Prague, l’autre directeur d’une école de musique en province, coincé entre sa femme, ses enfants et ses beaux-parents. Passer procède par oppositions, rat des villes contre rat des champs, jeunes contre vieux, et s’attache à des personnages qui existent le temps d’une scène, expriment leurs désillusions, évoquent des souvenirs, se laissent aller à des confidences ou des épanchements sensuels. Une crise de fou rire d’une belle jeune fille, un déjeuner en famille ou la cuite nocturne de deux amis se transforment en morceaux de bravoure. Le sens de l’observation et du détail incongru – une poule sur une voiture – débouche sur des gags ou des situations burlesques, comme cette improbable conversation entre un paysan dragueur édenté et la copine délurée du musicien. Cet hymne à l’impertinence se moque en contrebande du conformisme et de l’ennui qui étouffaient la société tchèque. Le film se termine par une séquence absurde et inoubliable, où le petit groupe ne réussit pas à trinquer ensemble car la liqueur d’œuf, trop épaisse, reste coincée dans les verres. La fin résume tout le film : il ne se passe rien mais c’est un rien signifiant, à la fois drôle et insolent, qui se montre extrêmement critique envers l’immobilisme et la pesanteur de la Tchécoslovaquie.

 

 

Ivan Passer : « un film sur rien »

« Ce fut une véritable surprise. Je ne voulais pas devenir réalisateur parce que j’aimais beaucoup être scénariste. Je n’étais pas obligé d’avoir la moindre responsabilité. Nous étions toujours trois, Milos (Forman), le merveilleux Jaroslav Papousek et moi. C’est arrivé par hasard, comme chaque fois ou presque dans ma vie. Un scénariste m’a appelé au sujet d’un traitement que le studio ne voulait pas produire avant qu’il n’ait trouvé un réalisateur. Plusieurs cinéastes avaient rejeté l’offre et j’étais sa dernière chance. J’ai accepté sans même avoir lu le script. Quand je l’ai lu j’ai compris pourquoi les autres réalisateurs avaient refusé. C’était l’histoire d’une ballade en canoë sur une rivière avec un professeur de piano et sa copine. Ce n’était pas très intéressant. A un moment ils voyaient quelqu’un pêcher sur le rivage, ils s’arrêtaient et le professeur reconnaissait son ami du conservatoire. Ils avaient étudié la musique ensemble. Son ami les invite à déjeuner dans sa maison. J’ai dit « ok, nous allons commencer le film à partir de cette scène. » Et nous l’avons fait. C’était une histoire très minimaliste. C’était si petit que le studio nous a laissé faire tout ce que nous voulions. Personnellement je n’aime pas les histoires très fortes parce qu’elles ne vous laissent pas le temps de vous occuper de toutes ces petits détails que j’adore dans les films, les instants banals, les moments où il ne se passe rien… Eclairage intime est considéré comme un film sur rien, mais en même temps j’espère que c’est aussi un film sur beaucoup de choses qui restent cachées. Quand nous avons quitté le pays, le Parti Communiste a interdit le film pendant vingt ans, il avait été effacé de tous les livres de cinéma.

Le Parti Communiste pouvait à la rigueur tolérer que les réalisateurs émettent des opinions politiques divergentes et se disputent avec lui, mais il détestait vraiment quand on l’ignorait. Mon film l’ignorait complètement.

Eclairage intime a eu beaucoup de succès à l’international. J’ai rencontré quelqu’un qui l’avait vu soixante fois. Quand je fais un film j’aime me fixer un objectif émotionnel. J’aime imaginer dans quel état d’esprit les spectateurs vont quitter la salle. Avec ce film j’espérais que les gens auraient envie de retourner le voir parce qu’ils avaient aimé les personnages. Nous rendons visite à nos parents, à nos amis, nous savons à l’avance ce qu’ils vont dire, ou faire, mais nous y allons parce que nous les aimons. Je pensais que mon film devait être comme ça, et c’est ce qui est arrivé. »

Propos recueillis le 30 mars 2012 lors du Festival de Fribourg.
L’intégralité de notre rencontre avec Ivan Passer (en anglais) sur l’ensemble de son œuvre est disponible ici

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2012/07/27/interview-with-ivan-passer/

 

 

Catégories : Actualités · Rencontres

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