Olivier Père

L’Autre de Robert Mulligan

C’est un classique secret du cinéma fantastique. Secret ne veut pourtant pas dire que L’Autre (The Other, 1972) est un film underground, ou une série Z uniquement connue des amateurs de bizarreries cinématographiques. L’aura de mystère qui l’entoure ne tient pas à ses conditions de production, ni à sa forme relativement classique, mais à rien d’autre que son sujet et les espaces mentaux dans lesquels il a osé s’aventurer. L’Autre est signé Robert Mulligan, cinéaste trop discret qui compta parmi les nouveaux talents du cinéma américain apparus dans les années 60. Sa carrière est inégale mais on lui doit quelques grandes réussites comme Du silence et des ombres (adaptation du roman Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee) et L’Homme sauvage (western violent et désenchanté sur la question indienne), tous deux interprétés par Gregory Peck, et un grand succès commercial au début des années 70, Un été 42 rendu célèbre par la musique de Michel Legrand. Comme d’autres films de Mulligan L’Autre est une pastorale américaine, une tranche d’Americana située dans la campagne du Connecticut, l’été 1935. Le film est tiré d’un roman de Tom Tryon, acteur qui s’était reconverti dans l’écriture après quelques déconvenues professionnelles, notamment son expérience traumatisante sur le tournage du Cardinal de Otto Preminger, où il tenait le rôle principal. Mulligan s’y intéresse de nouveau à l’Amérique rurale, et à l’enfance, ses peurs et ses zones d’ombres. Mulligan opte pour un style en contrepoint du fantastique traditionnel. L’atmosphère lumineuse et le cadre paisible d’une petite communauté agricole loin des tourments de la ville ne font que souligner l’horreur et le malaise qui suintent de l’histoire qui nous est contée. L’Autre est bâti autour de deux tabous : la mort d’un enfant – ici un jeune garçon et un nourrisson tués d’une manière atroce – et aussi l’enfance meurtrière, l’innocence pervertie. Sans jamais sombrer dans le Grand-Guignol, L’Autre nous confronte à des terreurs secrètes. Un enfant y est hanté par le souvenir de son frère jumeau maléfique, un monstre au visage angélique qui continue à vivre dans son esprit, et dont il perpétue les actes. La mise en scène du dédoublement de personnalité de l’enfant est des plus subtiles, et distille longuement le doute sur l’existence des deux enfants.

L’Autre fut réalisé avant que le cinéma fantastique ou d’horreur ne sorte de la marginalité et n’acquièrent les honneurs des budgets importants et des cimes du box-office – L’Exorciste, La Malédiction. Il survient aussi avant que des cinéastes comme John Carpenter, Brian De Palma ou David Cronenberg ne modernisent les mythes fantastiques. Avec son esthétique rétro et son traitement intimiste, L’Autre n’obtint pas les faveurs du grand public mais gagna rapidement ses galons de classique de l’étrange. La photographie couleur de Robert Surtrees et la superbe musique de Jerry Goldsmith contribuèrent à son excellente réputation auprès des cinéphiles.

 

L’Autre vient d’être réédité par Wild Side en combo blu-ray et DVD, avec un livret de 78 pages.

 

 

 

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *