Olivier Père

Je suis Cuba de Mikhaïl Kalatozov

ARTE diffuse Je suis Cuba (Soy Cuba, 1964) de Mikhaïl Kalatozov dimanche 18 septembre à 22h05. Ce film mythique, longtemps invisible puis redécouvert dans les années 90, se révèle à la hauteur de sa réputation. Je suis Cuba est une coproduction entre Cuba et l’URSS qui dresse un portrait lyrique du pays à la veille de la Révolution castriste, montrait les méfaits de l’exploitation capitaliste et la violence du régime de Battista, avant le débarquement de Fidel Castro et ses hommes et le soulèvement du peuple cubain. Je suis Cuba se présente comme un poème visuel composé de quatre histoires, qui s’intéressent à des individus représentatifs de la société cubaine : une jeune femme pauvre obligée de se prostituer dans un night-club fréquenté par des étrangers (Cuba avec ses casinos et ses hôtels était notoirement le bordel des Etats-Unis), un paysan chassé de sa plantation de canne à sucre par son propriétaire qui a vendu ses terres à la United Fruit Company, un étudiant révolutionnaire qui fomente l’assassinat d’un cruel chef de la police, enfin un autre paysan qui renonce à la neutralité pour rejoindre les rebelles castristes après le bombardement de sa ferme. Je suis Cuba montre le contraste entre la nature sauvage et luxuriante du pays et les quartiers modernes de La Havane réservés aux touristes, les richesses naturelles de l’île et la pauvreté du peuple sous le joug des patrons et d’un pouvoir répressif. Le souvenir de Que Viva Mexico de Eisenstein plane sur Je suis Cuba. Dans les deux cas un cinéaste soviétique pose son regard fasciné sur un pays lointain et son peuple, transformant l’approche documentaire ou propagandiste en rêverie élégiaque et surtout en délire formaliste et monumental, où tout et tous sont érotisés par l’œil de la caméra. Le film de Kalatozov est en effet célèbre pour son extraordinaire travail cinématographique, ses expérimentations folles et démesurées. Je suis Cuba est principalement constitué de longs plans séquences acrobatiques et virtuoses qui défient les limites du temps et de l’espace. On se demande encore comment furent élaborés des prises de vue sidérantes, comme cette scène de fête décadente sur la terrasse d’un hôtel de luxe (deuxième plan du film) avec la caméra qui finit dans la piscine ou les funérailles grandioses de l’étudiant où la caméra s’envole par la fenêtre. Cette débauche de travellings et de mouvements flottants pourrait donner la migraine, elle nous plonge au contraire dans une ivresse qui se prolonge bien au-delà de la projection. Les plans les plus mémorables de Je suis Cuba en évoquent un autre, que nous ne verrons jamais : l’immense plan-séquence que Sergio Leone avait imaginé pour ouvrir son 900 Jours de Leningrad, et qu’il racontait avec gourmandise. Partir d’un gros plan dans un lien donné pour s’arrêter de longues minutes plus tard dans un autre espace, sur une vision d’ensemble spectaculaire, abolir les contraintes spatiales, bien avant l’invention des trucages numériques. Tout cela existe dans Je suis Cuba. L’auteur de ces prodiges de mise en scène est le chef opérateur Sergueï Ouroussevski, déjà responsable des images de Quand passent les cigognes qui avait permis à Kalatozov d’accéder à une reconnaissance internationale (Palme d’or au Festival de Cannes en 1958).

Hélas Je suis Cuba, dont le tournage épique dura deux ans, ne connut pas le même succès. Le film eut le malheur de déplaire aux autorités soviétiques et cubaines, fut interdit ou tout simplement ignoré dans de nombreux pays.

Kalatozov ne réalisera qu’un seul long métrage après Je suis Cuba, lui aussi condamné à l’oubli mais beaucoup moins expérimental, La Tente rouge en 1969, étrange film d’aventures et superproduction compliquée entre l’URSS et l’Italie, avec Sean Connery et Claudia Cardinale.

Je suis Cuba

Je suis Cuba de Mikhaïl Kalatozov

 

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