Olivier Père

Nocturama de Bertrand Bonello

Ce film de rupture, pensé comme une coupe franche à l’intérieur de l’œuvre de son auteur – un désir de modernité tranchante et d’action pure après des voyages dans le passé et des rêveries opiacées – se révèle finalement dans la continuité directe de L’Apollonide et de Saint Laurent, mais les transcende par une mise en scène hypnotique et une fusion réussie entre film de genre et cinéma de poésie. Ecrit en 2011, le projet a d’abord été imaginé comme un thriller tendu, évacuant les dialogues au profit d’une chorégraphie silencieuse de corps juvéniles dans Paris, puis retranchés dans un grand magasin. Si la structure est restée – un film coupé en deux, où les conséquences d’attentats symboliques et néanmoins meurtriers commis dans la capitale par un groupe d’activistes succèdent au déroulement millimétré des opérations – Nocturama (ex Paris est une fête) a délaissé ce désir d’épure pour s’enivrer de sa propre virtuosité, et décliner des arabesques maniéristes spatio-temporelles dans la seconde partie, où Bonello se montre particulièrement inspiré en filmant le groupe déchiré par ses contradictions, ses peurs et ses désirs, dans un environnement de consumérisme et de luxe qui va les absorber puis les dévorer, piège labyrinthique où chaque objet, chaque élément de décor miroite en un inquiétant reflet. Ce qui sidère le plus dans Nocturama c’est la façon dont le cinéaste réinvente la mise en scène de la violence au cinéma. L’assaut final est caractéristique de cette forme inédite, qui diffuse, ralentit, spectralise l’action, lui refuse toute jouissance spectaculaire, la plonge dans des nimbes cauchemardesques. Les multiples greffes musicales ou visuelles se sédimentent en strates successives et composent un espace anxiogène fait de projections mentales, de déplacements somnambules et de visions oniriques. Bonello organise la rencontre entre Bresson et De Palma, Pasolini et Carpenter, avec une suprême élégance qui évite le collage de citations. Chose rare dans le cinéma français le fantasme d’un certain cinéma de genre des années 70 et 80, qui constitua une large part de l’imaginaire cinéphile de Bonello trouve une matérialisation pertinente, une restitution à la fois somptueuse et intelligente à l’intérieur d’un film qui n’entend pas rendre compte d’une réalité ni d’une actualité – fut-elle brûlante, insupportable et proche – mais propose de capter un sentiment du monde et de l’Histoire en marche au travers d’une écriture cinématographique qui emprunte autant à la poésie, la musique qu’aux images pulsions du cinéma d’horreur ou fantastique. Bonello a souvent évoqué parmi ses sources référentielles Assaut de John Carpenter (huis-clos urbain et abstrait), Zombie de George A. Romero (claustration et dérèglement dans un centre commercial assiégé) ou Elephant de Alan Clarke (déambulation muette et meurtrière). C’est finalement le souvenir de Dario Argento et sa sophistication triviale, son interprétation instinctive des tensions politiques d’une époque qui hante avec persistance Nocturama. De la même manière qu’un film aussi sanglant que Ténèbres captait au-delà de son intrigue policière le climat de violence terroriste qui régnait dans l’Italie du début des années 80, Nocturama avec sa terreur blanche et ses flammes infernales aura été le premier grand film à mettre en scène sur un mode opératique les symptômes de peur, de folie et de nihilisme qui traversent notre tragique quotidien.

Voir ici notre entretien avec Bertrand Bonello :

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2016/07/10/nocturama-rencontre-bertrand-bonello/

Sortie le 31 août dans les salles françaises, distribué par Wild Bunch Distribution.

Photo en tête de texte : Laure Valentinelli dans Nocturama.

nocturama de Bertrand Bonello

Nocturama de Bertrand Bonello

Bertrand Bonello sur le tournage de son film Nocturama, août 2015 © Xavier Lambours

Bertrand Bonello sur le tournage de son film Nocturama, août 2015 © Xavier Lambours

Bertrand Bonello et Hamza Meziani sur le tournage de sur le tournage de Nocturama, août 2015 © Xavier Lambours

Bertrand Bonello et Hamza Meziani sur le tournage de Nocturama, août 2015 © Xavier Lambours

 

Catégories : Actualités · Coproductions

Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    Il y a chez Bonello, la même grâce mêlée de provocation, la même attention aux détails, la même curiosité baroque que chez Paul Thomas Anderson. Je vois de fortes similitudes entre ces deux réalisateurs (que j’adore).

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