Olivier Père

La Planète des tempêtes de Pavel Klouchantsev

ARTE diffuse La Planète des tempêtes (Planeta bur, 1962) de Pavel Klouchantsev lundi 8 août à 23h50, à la suite de Barbarella et Silent Running, dans le cadre de son cycle de films de science-fiction.

La Planète des tempêtes sera également disponible en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7.

Opérateur de formation, Pavel Klouchantsev fut l’un des rares cinéastes spécialisés dans la science-fiction en URSS, et un pionnier en matière d’effets spéciaux optiques. Après quelques ouvrages d’orientation scientifique et propagandiste, courts métrages, documentaires ou docu fictions, Klouchantsev ose s’embarquer dans le pur « space opera » avec cette Planète des tempêtes qui fera le tour du monde (diffusée dans 28 pays) et lui vaudra son plus grand succès. Il est vrai que le film de Klouchantsev n’a rien à envier aux rares films de série B produits au même moment aux Etats-Unis ou en Italie, de manière encore plus marginale. Tourné en couleur – faute de moyens, la plupart des films de SF des années 50 et du début des années 60 étaient en noir et blanc – La Planète des tempêtes prétend rivaliser avec la seule grande superproduction de science-fiction des années 50 – hollywoodienne bien sûr : Planète interdite (1956), « space opera » lointainement inspiré de « La Tempête » de Shakespeare. L’URSS a sans doute voulu prouver qu’elle pouvait faire aussi bien que la MGM en matière de spectacle intersidéral sur grand écran. Dans le film de Klouchantsev trois vaisseaux spatiaux quittent la Russie à destination de Vénus. A l’approche de la planète, un vaisseau est détruit, un autre reste en orbite, et le dernier parvient à se poser. Les cosmonautes, parmi lesquels un Américain pas très avenant (qui détient le record de la réplique la plus misogyne de l’histoire du cinéma) et son robot « John », partent explorer la planète. Ce robot est le seul emprunt direct à Planète interdite et son fameux Robby le robot. Les deux machines ont un air de famille, et l’avatar soviétique connaîtra un plus funeste destin que son cousin hollywoodien. Mais La Planète des tempêtes développe une histoire et une approche originale du « space opera », loin des péripéties mouvementées et des actions rocambolesques. Il serait également faux de prétendre que La Planète des tempêtes privilégie la psychologie, ou le message politique. Klouchantsev opte pour une forme de lyrisme contemplatif et une poésie naïve, s’émerveillant des paysages de Vénus, de ses surprenantes faune et flore.

Un carton d’ouverture prévient le spectateur : « faute de données précises, la Vénus représentée dans ce film est purement imaginaire. Mais nous croyons aux futurs exploits des cosmonautes soviétiques, qui verront de leurs yeux la planète des tempêtes. »

Ces précautions inaugurales, qui mettent en avant l’optimisme soviétique et la foi dans la conquête spatiale et le progrès scientifique, permettent surtout aux auteurs de légitimer la licence poétique et le triomphe de l’imagination qui règnent sans partage dans le film. On ne s’étonnera donc pas de voir une planète Vénus peuplée de dinosaures, diplodocus paisibles et ptérodactyle agressifs, ou de plantes carnivores géantes. Vénus est une planète féminine, comme en témoignent son relief volcanique, son environnement humide et chaud, ses étendues aqueuses et ses cascades. On y entend un curieux chant qui évoque celui des sirènes et laisse présager une forme de vie qui se dérobe au regard de ses visiteurs. Les hommes cosmonautes l’explorent avec émerveillement, tandis que la seule femme de l’équipage reste en orbite. Le furtif dernier plan du film, image reflet stupéfiante de beauté et absolument imprévisible, termine ce « space opera » enchanteur sur une note sublime.

Le succès de La Planète des tempêtes ne porta pas chance à Klouchantsev. La ministre de la culture d’alors, Madame Yekaterina Furtseva voulut faire couper la scène où la cosmonaute pleure sous prétexte que « La femme astronaute soviétique ne peut pas pleurer ». Ensuite Klouchantsev tomba en disgrâce et se remit à réaliser des courts métrages. Il mourut en 1999 à Saint-Pétersbourg dans l’indifférence générale, moins oublié aux Etats-Unis – comme inventeur de magnifiques effets spéciaux – que dans son propre pays.

La Planète des tempêtes connut le douteux privilège d’être distribué deux fois aux Etats-Unis, totalement remonté, doublé et signé par d’autres réalisateurs, avec des séquences rajoutées afin de faire passer le film pour une production américaine. Le film fut d’abord distribué sous le titre Voyage to the Prehistoric Planet en 1965 signé John Sebastian (pseudonyme de Curtis Harrington) avec Basil Rathbone et Faith Domergue dans des scènes additionnelles. En 1968 le débutant Peter Bodganovich (sous le pseudo de Derek Thomas) transforma cette version en Voyage to the Planet of Prehistoric Women à la demande de Roger Corman avec de nouveaux inserts, des scènes sexy et Mamie Van Doren en prime. Autant dire qu’il ne restait plus grand-chose dans ce salmigondis filmique de l’œuvre originale de Klouchantsev.

Nous signalons que La Planète des tempêtes a été récemment édité en DVD par Artus, avec d’autres pépites de la science-fiction européenne des années 60 comme La Planète des vampires de Mario Bava (ressorti cet été en salles dans une version restaurée).

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