Olivier Père

J’avais 19 ans de Konrad Wolf

Il faut s’en réjouir, et surtout en profiter. En plus de ses rendez-vous cinématographiques hebdomadaires dans sa grille des programmes, ARTE propose de nombreux films visibles gratuitement sur sa plateforme dédiée au cinéma : des classiques du cinéma muet mais aussi des titres rares et importants qui viennent compléter des cycles ou programmations spéciales à l’antenne. Ainsi, simultanément à cinq joyaux du cinéma d’arts martiaux asiatique dont nous avons déjà parlé ici, il est possible de visionner, dans un tout autre genre, cinq films de la DEFA exclusivement en ligne, ainsi que les quatre longs métrages et le documentaire diffusés sur ARTE en mai et encore disponibles en télévision de rattrapage, proposés à l’occasion des 70 ans du studio est-allemand – avec aussi un dossier critique.

Nous avons déjà parlé dans ce blog des Assassins sont parmi nous de Wolfgang Staudte, historiquement le premier film de la DEFA, dont le tournage dans les ruines berlinoises de l’immédiate après-guerre avait débuté avant même la fondation du studio en 1946.

Cette initiative de ARTE Deutschland nous a permis de faire deux belles découvertes, et donné envie de les partager. J’avais 19 ans et Goya l’hérétique de Konrad Wolf.

J’avais 19 ans (Ich war neunzehn, 1967) compte parmi les titres essentiels produits par la DEFA, et les films importants du cinéma allemand, largement supérieur au « cinéma de papa » qui triomphe en RFA dans les années 50 et 60, avant l’arrivée de la nouvelle génération des Wenders, Fassbinder et Herzog. J’avais 19 ans connaîtra d’ailleurs une belle carrière internationale, à la différence de la plupart des productions DEFA confinées à une distribution dans l’ex bloc communiste.

J'avais 19 ans de Konrad Wolf

J’avais 19 ans de Konrad Wolf

Le film raconte l’avancée semaine après semaine des troupes soviétiques en Allemagne en avril 45, en direction de Berlin. Dans un pays en pleine débâcle, où les soldats allemands cherchent à fuir ou à se rendre plutôt qu’à continuer le combat, les zones sont pacifiées une par une, dans les petites villes de campagne. Seule la forteresse de Spandau remplie d’officiers et de civils, assiégée par les Russes, refuse dans un premier temps de capituler lors des négociations avec les émissaires soviétiques qui veulent éviter un bain de sang inutile. A la fin du film, on voit un convoi de SS mitrailler sur sa route des soldats allemands blessés qui ont préféré se constituer prisonniers auprès d’un petit détachement russe. Tous ces épisodes sont narrés du point de vue d’un très jeune lieutenant d’origine allemande, soldat de l’armée soviétique, qui revient pour la première fois dans son pays natal après un exil de douze ans. Sa connaissance des deux langues lui apporte un statut particulier de traducteur et d’intermédiaire entre les Russes et les Allemands. Il Le film est inspiré des propres souvenirs du réalisateur Konrad Wolf. Ce dernier, fils du dramaturge communiste Friedrich Wolf, avait quitté l’Allemagne en 1933 à l’âge de dix ans pour n’y revenir que sous l’uniforme de l’Armée rouge. J’avais 19 ans est un extraordinaire film de guerre, notamment en raison de la personnalité de son héros – jeune homme à peine sorti de l’enfance, étranger dans les deux camps, à la fois témoin et protagoniste d’un chapitre décisif de la Seconde Guerre mondiale. Remarquablement mis en scène, le film regorge de mouvements de caméra inoubliables, d’effets de style – ralentis, arrêts sur image – subtilement dosés pour ne pas nuire à l’authenticité recherchée par le cinéaste. Le film se permet également une licence assez rare dans un long métrage de fiction, l’insertion dans le court du récit d’un segment documentaire montrant l’interrogatoire d’un bourreau qui explique et refait les gestes devant la caméra de la mise en fonction d’une chambre à gaz dans un camp d’extermination. Ces images sont glaçantes. Lors du siège de la forteresse de Spandau, une autre séquence, fictionnelle cette fois, montre l’aveuglement et le fanatisme nazis alors que la guerre est perdue. Un officier donne sa croix de fer à un enfant des jeunesses hitlériennes – les Nazis avaient réquisitionné les enfants et les mutilés de la Première Guerre mondiale pour mener les derniers combats avant la capitulation – qui lui raconte comment il a tué un soldat russe avec une grenade. Aussi réaliste et sincère soit-il, J’avais 19 ans participe à une vision propagandiste de la libération de l’Allemagne, qui présente sous un jour idyllique la stratégie militaire des Russes – éviter à tout prix les bains de sang inutiles – et occulte certaines des exactions les plus choquantes des troupes soviétiques, en particulier les viols systématiques commis sur les populations civiles en Allemagne et en Pologne. Entre janvier 1945, lorsque l’Armée rouge entre en Allemagne et juillet 1945, quand les Alliés se partagent le Reich, près de deux millions de femmes allemandes sont violées par les soldats soviétiques. Ces faits seront longtemps tabous et n’apparaissent à notre connaissance dans une aucune production sur la Seconde Guerre mondiale des années 50 ou 60, ni même après ces dates. Aucun film de guerre hollywoodien ne relate non plus des agissements similaires commis par les forces alliées. Leur mention dans une production DEFA, studio soumis à la censure communiste, était bien entendu improbable. On peut néanmoins reconnaître un certain courage à Konrad Wolf qui évoque lors d’une séquence marquante un autre fléau répandu dans l’Armée rouge, l’alcoolisme, avec des soldats ivres qui s’entretuent dans la campagne, abattent un officier russe et obligent la petite division à rebrousser chemin. Chaos, folie et absurdité de la guerre. Il est permis de penser que Sam Peckinpah avait vu ce film avant de réaliser Croix de fer.

 

Pour voir J’avais 19 ans et quatre autres films de la DEFA, cliquez ici

http://cinema.arte.tv/fr/article/cinq-films-de-la-defa-decouvrir-exclusivement-en-ligne

 

A suivre.

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