Olivier Père

Macadam à deux voies de Monte Hellman

Ciné Sorbonne a réédité en salles Macadam à deux voies (Two-Lane Blacktop, 1971) de Monte Hellman en version numérique restaurée.

Au tout début des années 70 la contre-culture est à la mode. C’est l’époque où les studios, en perte de vitesse et déboussolés par les attentes d’un public jeune et libertaire décident de faire confiance à de nouveaux auteurs, et à leur confier des projets ambitieux ou personnels. L’immense succès de Easy Rider de Dennis Hopper invite les patrons hollywoodiens à faire confiance à ces rebelles opportunistes mais parfois extrêmement doués (Coppola, Scorsese, De Palma, Friedkin.) Lorsque Universal lui donne carte blanche pour réaliser Macadam à deux voies, une histoire de courses de voitures trafiquées, Hellman propose à l’écrivain Rudolph Wurlitzer de réécrire le scénario. Il tourne le film dans l’ordre chronologique absolu, et les comédiens ne savent pas ce qui les attend le lendemain. Cette méthode a vite fait de profondément les déstabiliser, d’autant plus que ce sont des non professionnels empruntés à la scène rock (James Taylor, Dennis Wilson le batteur des Beach Boys), à l’exception du grand Warren Oates, comédien fétiche de Monte Hellman et Sam Peckinpah. Macadam à deux voies est un road-movie existentiel dans lequel un chauffeur et son mécanicien, à bord d’une Chevrolet 1955 customisée, rencontrent une fille (Laurie Bird, la bien nommée) sur la route et entrent en rivalité (à propos de la fille, la voiture, la vitesse, la jeunesse, la liberté) avec un autre conducteur, un play-boy plus âgé à bord d’une Pontiac GTO. Macadam à deux voies est le plus beau voyage de l’histoire du cinéma moderne (avec Profession : reporter d’Antonioni, interprété par Jack Nicholson, un hasard ?) C’est aussi le plus désespéré. Les voyageurs ne sont guidés par aucun but; le trajet n’est pas l’occasion d’une découverte de soi, ni du monde, encore moins des autres. Les protagonistes n’ont pas de nom, désignés par leurs fonctions ou leur rôle (« The Driver », « The Girl », « The Mechanic »). Les deux voitures apparaissent au générique de fin dans la distribution, avec les comédiens. La fille passe indifféremment entre les bras des trois hommes, et d’une voiture à l’autre. Ni fuite, ni quête, le voyage en voiture est ici l’histoire d’un effacement du sens, des affects, jusqu’à une forme de nihilisme absolu qui ne débouche même pas sur la mort (trop romantique !) mais sur la disparition, non pas des personnages – toujours au volant – mais du film lui-même, qui soudain se fige et brûle dans une simulation d’accident de projection. On vous parle de pellicule 35mm, d’un autre siècle. Chef-d’œuvre absolu du cinéma américain des années 70, grand (seul ?) titre moderne et sans concessions produit dans le système hollywoodien, Macadam à deux voies est un échec sans appel (malgré une notoriété instantanée de film génial) et compromet gravement la carrière de son auteur. Hellman n’est pas comme Cimino un artiste maudit brisé dans son élan mégalomane, mais un réalisateur qui n’arrive – presque – plus à faire des films, par malchance et inadaptation. Entre 1971 et aujourd’hui, Monte Hellman n’a tourné que cinq films. Nombreux sont les cinéastes qui clameront leur admiration pour Macadam à deux voies : Chantal Akerman, Gus Van Sant… Quant à Vincent Gallo, il préfère bien sûr Electra Glide in Blue.

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