Olivier Père

Zatoichi de Takeshi Kitano

Dans le cadre de son cycle « embarquement pour l’Asie » ARTE diffuse Zatoichi (2003) écrit, réalisé et interprété par Takeshi Kitano lundi 11 juillet à 20h55. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage sur ARTE+7.

 

Le cinéaste et artiste multicarte Takeshi Kitano a aujourd’hui un peu disparu du paysage cinématographique – même s’il tourne encore des films, plus particulièrement destinés au marché japonais – mais on n’a pas oublié qu’il compta parmi les révélations majeures des années 90, imprimant sa personnalité et ses visions poétiques à plusieurs très beaux films qui marquèrent les spectateurs du monde entier. Zatoichi est sans doute l’une de ses dernières et plus grandes réussites. Au départ le film est une commande d’un studio qui proposa à Kitano d’endosser la défroque de Zatoichi dans une nouvelle version cinématographique des exploits du masseur aveugle, y voyant une manne commerciale. Kitano n’accepta qu’à condition de pouvoir réaliser lui-même le film et de conserver un contrôle créatif absolu sur le projet.

Takeshi Kitano, tel Clint Eastwood dans les années 80, semblait appliquer au faîte de sa gloire le principe d’alternance entre films récréatifs et risqués, films de genre et projets atypiques. Venant après Dolls, Zatoichi pouvait apparaître comme le film le plus commercial de Kitano depuis son premier, Violent Cop. Zatoichi appartient au genre des films de samouraï, relecture maniériste d’un ensemble de longs métrages très populaires au Japon – pour la plupart mis en scène par le grand Kenji Misumi – contant les aventures d’un masseur aveugle, Zatoichi, vagabond dont l’apparente bonhomie stupide dissimule une habileté quasi surnaturelle dans le maniement du sabre et une grandeur d’âme à toute épreuve. L’origine de Zatoichi est littéraire. Le personnage fut inventé dans les années 20 par Kan Shimozawa, écrivain spécialisé dans les romans historiques. Le succès de ces livres incita la Daiei à les adapter au cinéma. La saga des « Zatoichi » (interprété par Shintaro Katsu) compte 24 films réalisés entre 1962 et 1972, plus un feuilleton télé dans les années 70 et un come-back sur le grand écran en 1989. Cette série multiplie les épisodes violents de combats homériques, dans la plus pure tradition du « chambara » – terme désignant les films de sabre japonais – mais aussi les intermèdes comiques engendrés par la cécité du héros et son incroyable adresse.

Takeshi Kitano dans Zatoichi

Takeshi Kitano dans Zatoichi

 

Contrairement à Quentin Tarantino, Kitano n’est pas cinéphile, et ne voue pas un culte particulier à Zatoichi. Il ne verse pas non plus dans la parodie d’un genre hyper codifié ni dans la réévaluation du patrimoine cinématographique nippon. Son incursion dans le « chambara » donne naissance à un film tout aussi personnel et original que les précédents. Kitano signe à la fois un épisode de Zatoichi respectueux du cahier des charges de la série (combats hallucinants, humour, mélodrame) et un grand film de cinéaste où il se livre à de nouvelles variations sur les thèmes qui l’obsèdent (le spectacle, l’enfance, le déguisement, la violence), en poussant son génie du montage et de la mise en scène à un niveau d’invention et de raffinement jamais atteint. Kitano est avant tout un artiste et il intègre avec virtuosité dans Zatoichi sa passion pour le dessin, la peinture et la danse avec des passages chorégraphiques stupéfiants.

Contre toute attente le héros interprété par Kitano n’est pas au centre du film, qui prête une grande attention à un groupe de personnages, rencontrés par Zatoichi sur son chemin, et à leurs destins croisés. Le film s’intéresse à une famille de paysans, un frère et une sœur errant sur les routes depuis leur enfance à la recherche des assassins de leurs parents, un jeune rônin (formidable Tadanobu Asano) qui accepte de devenir garde du corps d’un bandit local pour subvenir aux besoins de son épouse malade… Ces figures burlesques, tragiques ou romantiques passent au premier plan du récit tandis que Zatoichi n’intervient qu’avec parcimonie, pour les combattre, les comprendre ou voler à leur secours.

Tournant le dos à la roublardise ambiante et à la surenchère postmoderne, Kitano démontre qu’il est encore possible de réaliser un film de genre qui soit aussi un film d’auteur, un film formaliste – la mise en scène et la photographie sont splendides – qui n’oublie pas d’avoir du sens, un objet ludique chargé d’émotion. Du grand art.

 

 

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