Olivier Père

Comanche Station de Budd Boetticher

L’éditeur Sidonis nous invite à revoir en blu-ray un autre « western de légende ». Réalisé juste après La Chevauchée de la vengeance (Ride Lonesome, 1959) dont il est en quelque sorte le film jumeau, Comanche station (1960), joyau du western, marque la fin d’une fructueuse collaboration entre Budd Boetticher et Randolph Scott. Sept films ensemble, appartenant tous au genre qui nous intéresse. Une fin en forme d’apothéose, puisque Comanche Station constitue un véritable accomplissement formel et thématique de ce cycle Ranown (du nom de la société de production indépendante fondée par Randolph Scott et Harry Joe Brow), débuté en 1956 par Sept Hommes à abattre et placé sous le signe d’un dépouillement progressif, superbe et presque arrogant. Budd Boetticher est un authentique maître du western qui, à une époque transitoire dans le cinéma hollywoodien (entre Hawks et Peckinpah, et précurseur de Monte Hellman) réalisa des westerns « sec, nerveux, sans graisse superflue, des charpentes à peine habillées » pour reprendre les termes de Michel Delahaye sur son œuvre. Ride Lonesome et Comanche Station sont des déclinaisons épurées de scénarios très semblables. Les deux films débutent identiquement : une silhouette de cavalier traverse un désert rocailleux. À chaque fois l’homme (Randolph Scott, à peine moins minéral que le paysage qui l’entoure) est défini comme une force mue par une obsession morbide. Dans Comanche Station, il recherche désespérément sa femme capturée par les indiens comanches il y a plusieurs années. Il sauve désormais des femmes prisonnières des indiens en espérant qu’il retrouvera un jour sa femme parmi celles-ci. Chaque fois, un groupe immuable (quatre hommes, une femme) se déchire. L’objectif purement intime – et dissimilé sous une apparente vénalité – du héros, (la quête, la vengeance) s’oppose à la cupidité et l’absence d’éthique assumées de ses adversaires. Comanche Station propose un curieux huis clos en plein air (on se surprend souvent à penser au théâtre classique) où le danger vient de l’extérieur du groupe – la proximité invisible des indiens – mais surtout de l’intérieur sont traversé par une inquiétude paisible. La conclusion du film renvoie à un désespoir presque glaçant. Il est vrai qu’on atteint ici une osmose totale entre un cinéaste, un acteur et un genre. La dernière collaboration entre Boetticher et Scott ressemble à un accord parfait. Les postures, les sujets, les décors relèvent de l’évidence. La maîtrise de l’espace, la durée quasi contemplative des plans avec une utilisation somptueuse des décors et de la lumière naturelle atteignent également une forme de perfection sereine. Le cinéaste Boetticher, le scénariste Burt Kennedy et l’acteur Randolph Scott excellent dans une forme artistique similaire : le minimalisme. Un traitement paradoxal pour traiter de sentiments excessifs. L’extraordinaire et inattendue scène finale de Comanche station nous tirerait presque les larmes.

Comanche Station est l’avant-dernier film de Randolph Scott qui mettra un terme anticipé à sa carrière deux ans plus tard avec un ultime western, le superbe Coups de feu dans la Sierra de Sam Peckinpah où il campe un cow-boy vieillissant aux côtés d’une autre légende de l’ouest, Joel McCrea. La fin d’une époque…

 

Catégories : Actualités

Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    Vu ce film hier.

    Je rejoins vos commentaires. C’est un film « paisible » et « tendu » à la fois, ce qui est une prouesse.

    La fin est très digne, vécue par trois personnes authentiquement nobles: il n’est même plus question de marchandage, alors que l’argent à été le moteur de l’action pendant tout le film. Arrivé à sa résolution, la prime promise semble oubliée, on n’en dit pas un mot; en réalité, l’argent, tout forme de rétribution matérielle, à ce moment, devient obscène. C’est un film profondément éthique.

    J’en suis à revenir sans arrêt à ce cinéma passé de mode, où justement, la morale avait encore un sens. Aujourd’hui, les critiques fusillent un film quand il prétend établir un code éthique, élever les sentiments des spectateurs (on dit: « mais rassure-toi -public cynique- le film n’est pas moralisateur! Ohlala, ça serait vraiment trop nul! ») Comme s’il fallait mépriser la leçon, quand elle peut se donner, comme ici, dans la subtilité et la sobriété, mais en toute clarté et supériorité.

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