Olivier Père

Gremlins de Joe Dante

ARTE diffuse dimanche 6 mars à 20h45 Gremlins, production Steven Spielberg réalisée par Joe Dante en 1984. Divertir (en effrayant) et critiquer (en s’amusant) : Cette dualité constante traverse l’œuvre de Joe Dante, dont la fidélité à une certaine idée du cinéma et à une certaine idée du monde a fini par le transformer en franc-tireur du cinéma américain. Comme pour Frank Tashlin jadis, l’Amérique n’a pas apprécié trop longtemps de voir des impulsions satiriques (et sadiques) parasiter le divertissement attendu. Joe Dante persiste à faire un cinéma référentiel presque trop culturel pour le public du samedi soir, trop personnel pour les studios, et pas assez sérieux pour la critique. Ses films sont toujours subversifs, irrévérencieux, échappent au formatage. Ils ne sacrifient jamais à la séduction du spectateur et à sa satisfaction immédiate : un film comme Gremlins ne racole pas, et dissimule sous les couleurs acidulées et criardes du dessin animé, du conte de Noël et du récit d’épouvante un projet satirique, une vision caustique de la société du spectacle que Dante est parvenu à critiquer de l’intérieur. Gremlins, son seul véritable triomphe commercial, est aussi une des réussites les plus éclatantes du système Dante : un récit à plusieurs niveaux de lecture, une déclaration d’amour à la série B et au fantastique, une parabole sur la place du spectateur et le rapport au cinéma dans notre inconscient et notre vie quotidienne.

Dans Gremlins Dante traite à égalité ses deux thèmes de prédilection : la cinéphilie et la politique. Que serait le cinéma de Dante sans cette moquerie du délire paranoïaque et de la peur de l’autre qui alimente la menace anarchique des Gremlins sur une petite ville modèle de la province américaine ?

« Créatures fantastiques et imaginaire cinéphilique », tels pourraient être le sous-titre (et le programme) de Gremlins, qui pratique un véritable art de la citation, décliné sous différentes formes à l’intérieur du film et de son récit : L’Invasion de profanateurs de sépultures, Dracula, Blanche-Neige et les sept nains, Le Magicien d’Oz mais surtout La vie est belle, le chef-d’œuvre de Frank Capra, dont Dante reproduit plusieurs scènes et s’inspire pour la description d’une petite communauté provinciale. La crise économique et la malfaisance d’un riche industriel qui dévastent le paysage urbain et la douceur de vivre de la bourgade sont remplacées par la méchanceté et la violence des bestioles, mais les effets (et la structure « avant/après ») sont les mêmes. Un an plus tard une structure et un décor quasiment identiques serviront de bases à une autre production Spielberg, beaucoup moins subversive que Gremlins mais également vouée à un succès planétaire, Retour vers le futur de Robert Zemeckis.

Les gremlins au cinéma

Les gremlins au cinéma

Dans La vie est belle, le personnage interprété par James Stewart, le soir de Noël, songe à se suicider. Dans Gremlins, des petits monstres sèment la pagaille et agressent plusieurs personnes durant les fêtes de Noël, parmi lesquelles une vieille propriétaire acariâtre – mixte de la Miss Gulch du Magicien d’Oz et du Mr Potter de La vie est belle – et un Américain xénophobe obsédé par l’invasion des marques étrangères, le premier à prononcer le mot « Gremlins » – qui désignait les avaries techniques des avions de chasse pendant la Guerre du Pacifique dans le jargon des mécaniciens – avant l’apparition des horribles bestioles. Noël, symbole à la fois des valeurs traditionnelles américaines et du consumérisme moderne est bousculé par une fiction du dérèglement dans laquelle se propage une onde de chaos et d’anarchie dans un environnement domestique (la scène de carnage dans la cuisine), où de nombreuses épreuves sont nécessaires pour un retour provisoire à la tranquillité.

La noirceur du scénario original – encore plus violent et sarcastique que le résultat à l’écran – fut tempérée lors de la production de Gremlins afin de ne pas trop déstabiliser le public familial et adolescent ciblé par Steven Spielberg. Il n’empêche que le résultat compte parmi les plus grandes réussites – tant commerciales qu’artistiques – de Joe Dante qui réalise l’exploit de nous en mettre plein les yeux avec un déluge d’effets spéciaux et de signer un véritable film d’auteur.

 

En 1990 Joe Dante réalisera Gremlins 2 : la nouvelle génération, diffusé à la suite du premier film le même soir sur ARTE, à 22h25.

 

 

 

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