Olivier Père

Khroustaliov, ma voiture ! de Alexeï Guerman

Capricci édite les deux derniers films de Alexeï Guerman sur un même DVD en vente le 3 septembre. Nous nous lamentions de l’absence des films de Guerman en DVD au moment de sa disparition, voici le début d’une réparation. Il est difficile d’être un dieu est le film posthume de Guerman, sorti en salles en janvier, création monstrueuse et défi à la résistance du spectateur, opéra de sang, de merde et de boue sur le totalitarisme, sans vraiment d’équivalence dans l’histoire du cinéma.

https://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2015/02/06/svetlana-karmalita-parle-de-alexei-guerman-et-de-il-est-difficile-detre-un-dieu/

 

L’avant-dernier film de Guerman, Khroustaliov, ma voiture ! (Хрусталёв, машину!, 1998) a été saluée avec raison comme un chef-d’œuvre majeur du cinéma contemporain. Fruit d’une gestation de dix ans, injustement boudé au Festival de Cannes, Khroustaliov, ma voiture ! dresse le tableau cauchemardesque de l’empire soviétique sous le joug du stalinisme en pleine décadence, entre antisémitisme d’état et persécutions politiques. Le film raconte la descente aux enfers d’un célèbre neurologue, patriarche à la tête d’une famille nombreuse, victime collatérale du célèbre complot d’épuration des « blouses blanches » en 1953. Emprisonné et torturé, il est arbitrairement libéré et porté sans autre explication au chevet d’un vieillard agonisant. Il s’agit de Staline, veillé pat son fidèle Beria, chef de la police politique de l’URSS. Dix ans plus tard on retrouve l’ancien chirurgien à la tête d’une bande de trafiquants dans un train qui traverse la Russie. Le film s’inspire des souvenirs d’enfance de Guerman et parvient à recréer une vision à la fois onirique, déformé mais parfaitement juste de l’époque, à la manière de Fellini lorsqu’il met en scène Amarcord. Guerman filme de longs plans séquences virtuose dans des décors labyrinthiques d’appartements ou d’hôpitaux dans lesquels les corps se heurtent à de nombreux obstacles, sans cesse en mouvements, en soliloques ou en affrontements verbaux. 2h30 en noir et blanc de confusion, de chaos, de violence et de folie qui laissent le spectateur en état de choc et de sidération. Guerman au sommet de son art sculpte une matière cinématographique hyperdense avec les ruines, les traumatismes et les cadavres de l’Union Soviétique. Bilan définitif d’une époque, Khroustaliov, ma voiture ! est un réquisitoire et un travail de mémoire, mais aussi et surtout une expérience sensorielle éprouvante et inoubliable, grouillante de personnages, de situations et de détails truculents ou atroces.

 

 

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