Olivier Père

Pierre Rissient parle de A Touch of Zen de King Hu

Cinéphile aux multiples activités et infatigable découvreur de talents Pierre Rissient a rapporté plusieurs films de ses voyages en Asie, parmi lesquels le sublime A Touch of Zen ressorti en salles par Carlotta en version restaurée – le 29 juillet – après sa présentation à Cannes Classics.

Pierre Rissient évoque pour nous les circonstances de cette découverte et de sa rencontre avec King Hu.

« A l’époque – fin des années 60 – ni moi ni personne parmi les cinéphiles n’était destiné à aller voir des films à Hong Kong. En 1969 je connaissais Henry Miller. Un jour l’agent de Miller, Georges Marton qui était un Hongrois de Paris et aussi l’agent de Fritz Lang, Robert Siodmak et d’autres cinéastes qui avaient travaillé à Hollywood dans les années 40 m’appelle et m’informe que Henry Miller souhaite que je voie un film chinois intitulé L’Arche. Il m’explique discrètement que Henry Miller est secrètement – et platoniquement – amoureux de l’actrice chinoise Lisa Lu (dont le nom chinois est Yen Chun Lu) qui vit à Los Angeles. Je vois le film et je l’aime. Je le fais sortir aux 3 Luxembourg et il a un grand succès critique et même un vrai succès public pour un film chinois totalement inconnu. La réalisatrice de L’Arche était Tong Shu Shuen, une héritière de la dynastie Tang exilée à Los Angeles qui était aller tourner son film à Taiwan. Le chef opérateur en était Subatra Mitra qui faisait tous les films de Satyajit Ray à l’époque, recommandé à Tong Shu Shuen par le couple Merchant / Ivory. Le monteur en était Les Blank qui avait fait la même école de cinéma que Tong Shu Shuen aux Etats-Unis.

Elle a fait un deuxième long métrage en 1972 et m’a demandé de la rejoindre à Hong Kong pour l’aider à monter son film. Je n’ai rien pu faire pour sauver le film qui n’était pas réussi. Je vais donc à Hong Kong pour la première fois en juillet août 1973. Je suis émerveillé par la vie grouillante de la ville, ses cinémas aux immenses façades. Je me renseigne sur les films et en découvre quatre en salles qui étaient intéressants : Illicit Love de Li Hanxang, Story of Mother de Song Cunsho, Autumn Execution de Lee Ching et Call Girl de Lung Kong.

Subitement une cinématographie existe en face de moi. On me parle d’un autre cinéaste important, King Hu, mais on n’avait pas accès à ses copies et il se trouvait à ce moment à Paris. On réussit quand même à me montrer en projection privée son dernier film en date The Fate of Lee Khan (L’Auberge du printemps), et je suis absolument sidéré, avec des réserves sur la dernière séquence.

Come Drink With Me (L’Hirondelle d’or) qui avait rencontré un très grand succès n’était pas visible car il était bloqué par la Shaw Brothers.

J’ai voulu en savoir plus sur King Hu et la fois suivante où je suis allé à Hong Kong j’ai vu A Touch of Zen d’une façon particulière. Le film avait été un échec considérable à Hong Kong et à Taiwan et chaque exploitant avait coupé dans la copie pour en réduire la durée. Il n’existait plus que des copies d’environ 2h alors que le film durait originellement 3h05. J’ai été émerveillé par ce que j’ai vu. J’ai voulu le faire venir au Festival de Cannes en 1974 mais je n’avais pas conscience que King Hu était en très mauvais terme avec son producteur. J’étais encore jeune et naïf et croyais que le réalisateur avait toujours raison contre le producteur, mais j’ai appris par la suite que c’était beaucoup plus complexe que cela, en général et surtout dans ce cas précis.

Il a fallu attendre 1975 pour pouvoir reconstituer une version complète du film et ajouter le générique que King Hu n’avait jamais monté, car il avait peur que le public soit désorienté.

La première fois que j’ai rencontré King Hu je lui ai dit que je voulais tout faire pour que A Touch of Zen soit connu en Occident et qu’il soit invité à Cannes. Un jour je lui demandé pourquoi il n’y avait pas de générique plus élaboré dans son film et c’est ainsi que nous avons pu réintégrer le générique initialement prévu que nous avons retrouvé dans un laboratoire et qui était éblouissant. C’est comme cela que A Touch of Zen est passé de 3h à 3h05.

Le film n’était sorti qu’à Hong Kong, Taiwan et les Chinatowns de grandes villes aux Etats-Unis, en Australie, en Indonésie… Mais c’était la première fois que l’on découvrait la version complète, et c’est cela qui a convaincu Maurice Bessy le directeur du Festival de Cannes. Il a vu une heure du film avec Gilles Jacob qui était à ce moment-là son assistant et ils ont été emballés. C’était la première fois qu’un film chinois était montré à Cannes, à ma connaissance.

King Hu avait-il des influences cinématographiques occidentales ?

Au risque de vous surprendre les seuls films dont il parlait comme d’une influence sur Dragon Gate Inn étaient les « James Bond. »

Pas pour A Touch of Zen, il se défendait même de toute influence occidentale.

Qu’est-ce qui vous avait séduit dans A Touch of Zen ?

La magnificence visuelle, la composition, la dynamique des plans, l’énergie prodigieuse du film, l’imaginaire et l’imagination. La dynamique de A Touch of Zen est à plusieurs niveaux : au niveau du plan, de la structure, de la narration… Ce dont je me suis rendu compte plus tard c’est que A Touch of Zen n’était pas un film de Hong Kong ou de Taiwan mais avant tout un film mandarin. King Hu était imprégné de culture chinoise millénaire.

Le tournage du film a duré près de trois ans…

Il n’était certes pas prévu que le tournage dure trois ans. C’était essentiellement dû à l’exigence et au perfectionnisme de King Hu, et aussi à cause de difficultés technologiques à surmonter. Les dépassements de budget et de temps étaient justifiés et ils ont été suivis par le producteur. »

 

Propos recueillis lors du dernier Festival de Cannes. Remerciements à Pierre Rissient.

 

Ici notre texte sur le film :

https://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2015/05/18/cannes-2015-jour-6-a-touch-of-zen-de-king-hu-cannes-classics/

 

 

Catégories : Actualités · Rencontres

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