Olivier Père

Le Locataire de Roman Polanski

ARTE diffuse lundi 11 mai à 22h40 Le Locataire (The Tenant, 1976) de Roman Polanski, sélectionné la même année au Festival de Cannes en compétition officielle, où il reçut un accueil désastreux. Il s’agit du premier film tourné en France par Polanski, même s’il fut produit avec des capitaux américains et tourné en anglais – puis doublé par la suite en français.

Trelkovsky (interprété par Roman Polanski sans être crédité au générique), d’origine polonaise, travaille dans un service d’archives et se lie difficilement avec ses collègues. Il visite un appartement inoccupé dans un quartier populaire de Paris et la concierge lui apprend que la locataire précédente s’est jetée par la fenêtre quelques jours auparavant. Trelkovsky s’installe dans l’appartement. Mais il est bientôt victime de multiples vexations de la part de ses voisins…

Le Locataire, d’après le roman de Roland Topor Le Locataire chimérique publié en 1964, est une vision oppressante de Paris et un des films les plus convaincants jamais réalisés sur la schizophrénie. Il s’agit du chef-d’œuvre maudit de Roman Polanski – le film fut incompris et sous-estimé au moment de sa sortie, avant d’être considéré parmi les meilleurs de son auteur. Le Locataire n’est pas proprement parlé un film d’horreur et c’est pourtant un film terriblement angoissant, une plongée dans la folie à vous glacer le sang, avec des images atroces et dérangeantes qui s’inscrivent à tout jamais dans votre cerveau. Polanski, comme Hitchcock ou Kubrick, est passé maître dans l’art de capturer le spectateur pour le conduire exactement là où il veut.

Le cinéaste parle avant tout de l’anxiété d’être un étranger dans une grande ville, seul et en proie à l’hostilité de tous. Ce qui commence en inventaire des tracas de la vie de locataire à Paris – tapage nocturne, voisins malveillants, concierge acariâtre et propriétaire menaçant – se transforme peu à peu en délire paranoïaque.

Une pétition pour faire expulser de l’immeuble une vieille femme au nom arménien, les remontrances et les insinuations en tous genres dont est victime Trelkovsky font ressurgir dans Le Locataire les spectres de la Collaboration, d’autant plus que Trelkovsky est d’origine juive et que son statut d’étranger lui est sans cesse rappelé…

A l’intérieur de la filmographie de Polanski Le Locataire s’inscrit dans la continuité de Répulsion et de Rosemary’s Baby. Fictions hantées de l’enfermement, du dédoublement de personnalité et de la persécution, les trois films montrent le glissement progressif de la réalité vers le cauchemar. Mais dans Le Locataire, Polanski opte franchement pour le grotesque et l’humour noir et crée un personnage qui n’est dangereux que pour lui-même, sadomasochiste et névrosé qui va endosser la défroque de la précédente locataire et subir jusqu’à l’autodestruction le harcèlement de son voisinage et les hallucinations qui en résultent. La dimension comique et grinçante du Locataire est accentuée par les choix de Polanski qui mélange de manière inattendue des vieilles gloires hollywoodiennes (Shelley Winters, Melvyn Douglas vu chez Lubitsch ou Cukor, Jo Van Fleet) dans des rôles inquiétants et la nouvelle génération des comédiens comiques français du Café de la Gare et du Théâtre du Splendid dans des apparitions bouffonnes (Josiane Balasko, Michel Blanc, Gérard Jugnot, Romain Bouteille, Rufus…) sans oublier Bernard Fresson et Isabelle Adjani dans des contre-emplois surprenants.

A Londres (Répulsion) et New York (Rosemary’s Baby) succède Paris du temps du trou des Halles, capitale en travaux débarrassée de sa séduction touristique et plongée dans une atmosphère glauque et lugubre. Tous les clichés de la ville lumière sont balayés, l’appartement de Trelkovsky se situe dans les quartiers populaires du Nord de la ville mais Polanski parvient aussi à rendre inquiétants les quais de Seine et les jardins du Luxembourg. Fidèle à sa réputation de perfectionniste attentif aux moindres détails artistiques et techniques Polanski préféra reconstituer en studio l’immeuble et sa cour afin d’y régler avec plus de liberté de complexes mouvements de caméra et des perspectives truquées. Le Locataire dont la photographie est signée Sven Nykvist chef-op attitré de Bergman est le premier long métrage à utiliser la grue Louma, notamment pour son sinueux plan d’ouverture, qui n’est pas sans rappeler les célèbres plans séquences de Orson Welles comme ceux de La Soif du mal, diffusée sur ARTE juste avant Le Locataire.

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