Olivier Père

Rita, Sue and Bob Too! de Alan Clarke

Grâce à l’édition DVD on n’en finit pas de redécouvrir l’œuvre d’Alan Clarke, cinéaste (et surtout téléaste) anglais mort prématurément en 1990, dont l’influence et l’importance ne font aujourd’hui aucun doute.

Après l’inédit et bizarroïde Rhapsodie en trois bandes exhumé par Elephant, Potemkine qui avait déjà consacré à Alain Clarke un coffret regroupant ses titres majeurs propose en DVD en vente à partir du 3 mars Rita, Sue and Bob Too!, une comédie scabreuse et déchaînée de 1987 qui figure parmi les très rares films réalisés par Clarke pour le cinéma, l’essentiel de son œuvre ayant été produite pour la télévision.

Comme les autres films de Clarke Rita, Sue and Bob Too! se situe dans les milieux populaires du Royaume-Uni, ici la banlieue pavillonnaire et les cités du West Yorkshire. Rita et Sue sont deux amies lycéennes inséparables issues de la classe ouvrière. Pour se faire de l’argent de poche elles gardent les enfants d’un couple de petits-bourgeois, Bob et Michelle. Un soir où il ramène les deux adolescentes chez elles en voiture, Bob – prototype du mâle sexuellement frustré par une morne vie conjugale – leur propose sans détour une partie de jambes en l’air que le deux donzelles ne tardent pas trop à accepter avec malice, perdant leur virginité par la même occasion.

Cette scène étonnante par sa trivialité et sa franchise sexuelle marque le point de départ d’une relation adultérine et triangulaire au cours de laquelle Bob va « rendre visite » en alternance à Rita et à Sue, régalant les deux copines d’une libido trop longtemps bridée par une épouse guère portée sur la bagatelle. Mais les voisins, la famille de Rita et Sue et la femme de Bob ne vont pas tarder à s’en mêler, semant une belle pagaille.

Crépage de chignons ou plutôt de mulets dans Rita, Sue and Bob Too!

Crépage de chignons ou plutôt de mulets dans Rita, Sue and Bob Too!

Avec sa vulgarité et son mauvais goût décomplexés, soulignés par la laideur vestimentaire des années 80, d’affreuses coupes de cheveux et une bande son à l’avenant, Rita, Sue and Bob Too! s’inscrit aussi bien dans la tradition truculente de Chaucer et du théâtre élisabéthain que celle de l’hystérie des sitcoms du petit écran. Clarke est plus radical dans sa démarche de cinéaste que Stephen Frears ou Mike Leigh qui eux aussi réalisent à la même époque de très honorables comédies sociales bousculant l’Angleterre thatchérienne (Sammy et Rosie s’envoient en l’air et High Hopes). Clarke était le vrai punk du cinéma anglais, sa comédie ne respecte aucune bienséance et fait souffler un tourbillon libertaire qui balaie autant les clichés que les idées reçues. Bob aurait pu être un affreux macho ou un beauf caricatural mais c’est surtout un obsédé sexuel sympathique et humain jusque dans sa lâcheté et ses mensonges de mari infidèle. Rita et Sue ne sont jamais désignées comme des victimes ou filmées avec condescendance malgré leur conduite écervelée.

Alan Clarke s’emploie à dynamiter l’esthétique du feuilleton et du théâtre filmé – Rita, Sue and Bob Too! est adapté d’une pièce de Andrea Dunbar – véritables institutions de la télévision britannique, ou plutôt leur absence d’esthétique en adoptant une caméra très mobile, en mouvement perpétuel au plus près des personnages, et en renonçant au champ contrechamp. Dès la séquence générique de longs travellings latéraux accompagnent les déambulations de Rita et Sue dans leur cité, avec des chorégraphies sophistiquées qui abandonnent ou retrouvent certains personnages dans des paysages suburbains sordides. Ces longs travellings deviendront la signature inaltérable du film suivant de Clarke, Elephant (1989), moyen métrage expérimental sur la violence en Irlande du Nord, qui enregistrait une série d’actions meurtrières sans que l’on sache jamais qui étaient les assassins et les victimes.

Eclat de rire énorme et vivifiant, éloge de la gaudriole dans une filmographie plutôt sombre et désespérée, Rita, Sue and Bob Too! est un modèle de comédie politique. Au-delà de la peinture du prolétariat Clarke réaffirme la puissance libératrice des pulsions sexuelles contre l’ordre et les institutions, y compris et surtout celle sacrée du mariage. Contre toute attente le film s’achève sur une note positive et joyeusement irresponsable, avec un ménage à trois en forme d’utopie anarchiste et hédoniste.

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