Olivier Père

L.627 de Bertrand Tavernier

Pour conclure son « printemps du polar » ARTE diffuse le mercredi 25 mars à 20h50 L.627 (1992) de Bertrand Tavernier, qui nous a fait le plaisir de présenter quelques-uns des meilleurs films du cycle.

Le titre du film, L. 627, désigne l’article du Code de la Santé publique qui réprime toutes les infractions liées à la détention, au trafic, à la consommation de stupéfiants. Il ancre d’emblée le propos de Tavernier dans un contexte réaliste et presque documentaire, en optant pour le point de vue de Lucien Marguet surnommé Lulu (excellent Didier Bezace), policier de terrain passionné par son métier. Comme dans certains de ses longs métrages précédents à connotation sociologique le cinéaste se veut un sismographe de son temps et le film, fruit d’une longue préparation en immersion au sein de la 1ère DPJ et coécrit par un ancien enquêteur de la « brigade des stups », Michel Alexandre, dresse en premier lieu un constat effarant sur les conditions de travail de la police dans la France du début des années 90, entre manque cruel de moyens matériels, de coordination et de directives. Lors de la sortie de L.627 Paul Quilès alors Ministre de l’Intérieur provoqua un vive polémique en reprochant à Bertrand Tavernier de « dire des choses injustes et fausses. » Il n’en fallait pas plus pour finir de convaincre les principaux intéressés qu’ils avaient frappé fort et juste et pointant les dysfonctionnements de la magistrature et en dressant le portrait d’un flic honnête et obstiné parfois en butte avec ses propres collègues et supérieurs, sa croisade quotidienne contre la connerie des uns, l’incompétence des autres et l’alcoolisme de beaucoup pour pouvoir mener à bien de simples opérations de routine.

Malgré sa volonté affichée de rompre radicalement avec une représentation conventionnelle de la police à l’écran, et de contourner les clichés du polar, Tavernier rejoint pourtant avec L.627 la démarche de certains films et cinéastes chers à son cœur. Le foisonnement des situations et des personnages, l’attention portée à un groupe et aux détails quotidiens d’un corps professionnel, le refus de l’intrigue centrale au profit de plusieurs événements déconnectés évoquent aussi bien le cinéma choral et iconoclaste de Robert Altman (M*A*S*H) que la chronique populaire de Jacques Becker (Antoine et Antoinette).

Si la mise en scène de Tavernier est inhabituelle par sa frénésie et son refus du cadre fixe la galerie hétéroclite d’acteurs truculents n’hésitant pas à entraîner leurs interprétations aux antipodes du naturalisme, n’est pas étrangère à une certaine tradition du cinéma français des années 30, qui accordait beaucoup d’importance aux gueules et aux caractères, seconds et troisièmes couteaux, sympathiques ou ignobles, mais toujours pittoresques, et venus d’horizons divers – apparition surprenante de Francis Lax. Le grotesque et la bouffonnerie de Mocky et Boisset ne sont pas loin.

Dans cette comédie humaine aux accents souvent pathétiques et désespérés Tavernier s’offre des digressions inattendues comme la relation platonique entre Lulu et Cécile, une jeune indicatrice, prostituée et toxicomane, qui disparait au cours du récit. La quête intime de Lulu pour retrouver son amie devient la seule ligne directrice, particulièrement ténue, du film, au détriment des filatures pour coincer des trafiquants de drogue. Cette trame romanesque et amoureuse est aussi surprenante que le hobby de Lulu dans sa vie familiale : cinéaste amateur, il filme les banquets de mariage et ne pourra s’empêcher d’utiliser son caméscope pour espionner des suspects, possédé à la fois par son métier d’enquêteur et la pulsion scopique.

 

 

 

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