Olivier Père

Pour toi, j’ai tué de Robert Siodmak

ARTE diffuse lundi 23 mars à 22h45 dans le cadre du « printemps du polar » Pour toi, j’ai tué (Criss Cross, 1948). Souvent présenté comme l’archétype du film noir, signé Robert Siodmak, cinéaste allemand à la carrière internationale, auteur à Hollywood des célèbres Tueurs d’après Hemingway, mais aussi de plusieurs perles de la série B, Pour toi, j’ai tué ne respecte pourtant que superficiellement les canons du cinéma policier. Siodmak se sert d’une presque banale histoire de violence et de trahison pour étudier le drame d’un couple maudit marqué par le destin, et dresser les portraits sans clichés d’un homme faible et d’une femme « insondable », pour reprendre l’expression exacte de Hervé Dumont, le meilleur exégète de l’œuvre du cinéaste (lire son indispensable bouquin, aux éditions Ramsay Poche Cinéma). Si Burt Lancaster excelle dans le rôle d’un type ordinaire encore sous l’emprise amoureuse et charnelle de son ex-femme, Yvonne De Carlo incarne à la perfection ce personnage féminin unique dans les annales du film noir, peuplé de garce et de femmes fatales aux motivations évidentes, l’appât du gain et l’abus de leurs charmes. Même si elle est désignée comme une créature vénale et une arriviste (surtout par la mère du héros et son ami policier, deux témoins à charge immédiatement suspects à nos yeux) qui manipule le pauvre Lancaster esclave de ses sentiments, le film refuse délibérément de la juger. Robert Siodmak réussit l’osmose parfaite entre un genre imposé et ses aspirations personnelles, ne se contente pas de semer des fausses pistes ou de multiplier les rebondissements mélodramatiques et policiers. Il malmène la misogynie foncière du film noir et parvient à rendre indécidable le portrait psychologique de son héroïne. Jusqu’à l’image finale, dénouement tragique et abrupt, le spectateur est en droit de douter de la malignité de cette femme certes serpentine, mais amoureuse, sans doute. Hormis cette ambiguïté passionnante, Pour toi, j’ai tué s’impose aussi par sa structure narrative et sa mise en scène aux confins de l’onirisme comme un grand film, dont la construction en flash-back a ensuite influencé de nombreux auteurs de polars. Un chef-d’œuvre sur l’amour fou, l’amour flou.

Burt Lancaster et Yvonne De Carlo dans Pour toi, j'ai tué

Burt Lancaster et Yvonne De Carlo dans Pour toi, j’ai tué

 

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