Olivier Père

Le Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot

ARTE diffuse dimanche 18 janvier à 20h45 Le Salaire de la peur (1953) de Henri-Georges Clouzot et invite ses téléspectateurs à une expérience intéressante. En effet il sera possible de comparer dès le lendemain, lundi 19 janvier à 20h50 le classique de Clouzot avec le chef-d’œuvre de William Friedkin Le Convoi de la peur (Sorcerer, 1977), remake américain du film français ou plutôt nouvelle interprétation de l’histoire du roman de Georges Annaud.

Avec Le Salaire de la peur, énorme succès en son temps, Clouzot réalise un récit d’aventure et de suspense « à l’américaine » justement, comparable à certains films de John Huston comme Le Trésor de la Sierra Madre, auquel le cinéaste du Corbeau apporte sa noirceur et sa cruauté habituelles.

Quatre hommes acceptent de véhiculer, au péril de leur vie, un chargement de nitroglycérine sur cinq cents kilomètres de routes défoncées. L’énorme prime de ce « quitte ou double » périlleux est le seul moyen de quitter le village d’Amérique centrale dans lequel ils ont échoué.

Le Salaire de la peur bénéficia d’un très gros budget qui subit des dépassements considérables en raison des conditions météorologiques (les décors latino-américains furent entièrement reconstitués en Camargue). Le film suivant de Clouzot, Les Diaboliques, perpétuera ce désir du cinéaste de rivaliser avec le cinéma américain en adaptant un roman de Boileau-Narcejac Celle qui n’était plus d’abord convoité par Hitchcock, sous la forme d’un thriller psychologique et horrifique qui connaîtra lui aussi un grand retentissement à l’étranger. Dans Le Salaire de la peur Clouzot multiplie les morceaux de bravoure et les scènes spectaculaires avec une maestria toujours aussi impressionnante.

Lors d’un récent sondage nous avions demandé à des amis réalisateurs du monde entier, toutes générations confondues de citer leurs films français préférés. Le Salaire de la peur fut l’un des titres qui revint le plus souvent, au côté de longs métrages de Godard, Renoir ou Eustache.

Preuve que ce film connut à l’époque de sa distribution une carrière internationale exceptionnelle pour une production hexagonale, et qu’il est demeuré extrêmement populaire dans de nombreux pays – c’est certainement la notoriété du film aux Etats-Unis qui incita Friedkin à en préparer une nouvelle version. Le lancement du Salaire de la peur lors du Festival de Cannes avait été triomphal, le film remportant le Grand Prix (équivalent de la Palme d’or à l’époque) et le Prix de la meilleure interprétation masculine pour Charles Vanel (formidable dans un rôle d’abord proposé à Jean Gabin qui le refusa).

Le Salaire de la peur est également notable pour l’ambiguïté de la relation entre les deux aventuriers Charles Vanel et son cadet Yves Montand (photo en tête de texte), au sommet de sa force physique. Le premier développe pour le second une amitié possessive teintée de jalousie qui permit d’évoquer un sous texte homosexuel. Il n’est pas certains que l’austère Clouzot ait consciemment mis en scène un film crypto gay mais la franche camaraderie n’avait pas sa place dans l’univers d’un cinéaste qui envisageait toutes les relations humaines sous l’angle du sadomasochisme et de la torture mentale, quel que soit le sexe de ses personnages, et il se devait de pimenter un peu la rencontre entre ses deux héros par une sorte d’amour vache, un contexte de sueur, de boue, de cambouis, de tensions et d’affrontements virils favorisant de manière presque naturelle l’imagerie homo érotique du film.

 

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