Olivier Père

Element of Crime de Lars von Trier

Dans le cadre de son cycle consacré à Lars von Trier ARTE diffuse lundi 10 novembre à 22h20 Element of Crime (Forbrydelsens element, 1984).
On se souvient de la découverte au Festival de Cannes d’un cinéaste totalement inconnu Lars von Trier, avec ce premier long métrage surprenant et déjà provocateur catapulté en sélection officielle, au sein d’une édition riche en découvertes comme en maîtres anciens (Bergman, Huston, Leone, S. Ray) où l’on entend aussi parler pour la première fois d’un certain Jim Jarmusch dont le Stranger Than Paradise remportera la Caméra d’or à la Quinzaine des réalisateurs, Lars von Trier devant se contenter d’un prix pour la meilleure contribution technique, qu’il obtiendra une seconde fois avec Europa avant d’accéder à des récompenses cannoises plus prestigieuses!

Premier opus donc du jeune (von) Trier en pleine période punk voire skinhead (il fait une apparition dans Element of Crime en tenancier au crâne rasé), bien avant sa période doloriste, angélique et mystique. A peine sorti de son école de cinéma le jeune danois fait déjà preuve d’un talent et d’une personnalité hors du commun. Lars von Trier prône un cinéma purement visuel, un cinéma de la fascination – tout en ayant conscience des limites et des dangers que cela implique – comme s’il s’agissait d’exploiter une dernière fois la grande machinerie des studios des années 30 et 40, sur un mode expérimental. Le cinéaste revendique alors un fétichisme et un maniérisme assumés, avec un usage ostentatoire de trucages photographiques et des mouvements de caméra amples et complexes. Le point culminant de cette démarche sera Europa – avant l’invention de formes nouvelles affranchies des références cinéphiliques et la volonté de violenter les diktats techniques et esthétiques de l’industrie du cinéma.

Element of Crime est le premier volet (avant Epidemic et Europa) d’un ensemble de trois films autour de l’Europe passée, présente et future, et les fantômes du nazisme.

Les premières images envoûtantes du film nous invitent à revivre avec son héros plongé sous hypnose l’étrange et terrifiante aventure vécue deux mois auparavant. Cet état de semi conscience cautionne l’ambiance onirique et comateuse du film, tout entier baigné dans une lumière couleur rouille, et témoigne de l’intérêt de Lars von Trier pour l’hypnose, à laquelle il aura recours sur le tournage de Epidemic.

Fisher, un détective exilé au Caire (le comédien anglais Michael Elphick, vu notamment dans Elephant Man) est sommé de retourner quelque part en Europe pour aider à la capture d’un tueur en série particulièrement retors qui assassine et mutile des jeunes filles. Dans un no man’s land embourbé et post apocalyptique, son enquête débouchera sur une vérité monstrueuse. Element of Crime est un voyage cauchemardé entre Stalker, La Soif du mal et Apocalypse Now, construit sur les ruines chancelantes du vieux continent et hanté par les ombres des grands cinéastes européens, en particulier le Fritz Lang de M le maudit. Les principes d’identification et la confusion malsaine qu’entretient un homme avec le meurtrier qu’il traque de manière obsessionnelle situent aussi Element of Crime dans la lignée de thrillers tels que Cruising de William Friedkin, Ténèbres de Dario Argento ou Le Sixième Sens de Michael Mann, même si Lars von Trier s’inspire davantage de classiques du film noir hollywoodiens tels que Le Faucon maltais et Quand la ville dort de John Huston ou Le Troisième Homme de Carol Reed version steampunk.

La distribution très hétéroclite de Element of Crime réserve quelques surprises. L’acteur anglais Esmond Knight, vétéran de la scène, de la télévision et du cinéma britanniques, mémorable dans les films de Powell-Pressburger et Le Fleuve de Jean Renoir, y fait l’une de ses dernières apparitions à l’écran dans le rôle de Osborne, le mentor déchu de Fisher, criminologue auteur de la méthode controversée de « l’élément du crime ». Aveugle depuis de longues années, le vieil acteur y interprète un personnage voyant, ce qui créée un décalage étrange dans son jeu, à la grande satisfaction de Lars von Trier. Le rôle féminin principal est tenu par Me Me Lai, actrice née en Birmanie connue pour sa participation dénudée aux films de cannibales italiens signés Umberto Lenzi (Au pays de l’exorcisme) et Ruggero Deodato (Le Dernier Monde cannibale).

Le cycle Lars von Trier permettra également de voir ou revoir Breaking the Waves (première diffusion lundi 10 novembre à 20h50 juste avant Element of Crime), le film collectif supervisé par LVT The Five Obstructions (première diffusion mercredi 12 novembre à 23h), l’intégralité de la fameuse série télévisée L’Hôpital et ses fantômes dans un nouveau montage inédit, (jeudi 13 novembre et jeudi 20 novembre) et enfin Melancholia le dimanche 16 novembre à 20h45, en ouverture du Festival du Cinéma d’ARTE.

Element of Crime est disponible en Replay sur ARTE+7, comme The Five Obstructions et Melancholia.

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