Olivier Père

L’Opération diabolique de John Frankenheimer

Lost Films vient de ressortir mercredi dernier en salles sous son titre original Seconds L’Opération diabolique, film réalisé en 1966 par John Frankenheimer. Ce cinéaste américain formé à la télévision à l’instar de Sidney Lumet, William Friedkin, Franklin J. Schaffner et bien d’autres aura été l’un des talents les plus remarquables de sa génération, enchaînant les réussites spectaculaires dans les années 60, réalisant encore quelques films réussis la décennie suivante (Black Sunday) avant de connaître un lent et irréversible déclin, ses téléfilms de fin de carrière se révélant souvent plus ambitieux et personnels que ses films de cinéma, travaux de mercenaire pour différentes majors ou studios indépendants (Cannon, Miramax, New Line ou MGM.)

A défaut d’être son film le plus abouti – on peut lui préférer Un crime dans la tête, Les parachutistes arrivent et Le Pays de la violenceL’Opération diabolique est sans conteste son projet le plus déroutant, Frankenheimer réalisant ici un conte fantastique moderne absolument inhabituel tant sur le plan narratif que visuel.

Un homme d’âge mûr, Arthur Hamilton, déçu par son existence monotone, reçoit un jour un coup de téléphone d’un ami qu’il croyait décédé. Celui-ci lui propose de refaire comme lui sa vie en simulant sa mort. Wilson finit par accepter le rendez-vous avec une mystérieuse organisation et signe un contrat qui lui permet notamment grâce à la chirurgie esthétique de changer d’apparence physique et d’identité et de recommencer une nouvelle existence, au bord d’une plage californienne dans une communauté de « reborns » comme lui. Mais le cauchemar ne fait que commencer…

Un atmosphère cauchemardesque

Un atmosphère cauchemardesque

Sur un postulat digne d’un épisode de « La Quatrième Dimension » Frankenheimer réalise un film onirique et désenchanté sur l’aliénation et l’impossibilité de la seconde chance, avec un antihéros pathétique pris dans un engrenage infernal. C’est aussi le troisième et dernier chapitre d’un sous-ensemble dans l’œuvre du cinéaste sur les complots en Amérique et la paranoïa, après Un crime dans la tête et Sept Jours en mai, Frankenheimer délaissant la politique fiction de ces deux films pour la science-fiction. Alors que cela n’avait pas été prévu dès le départ par Frankenheimer le rôle principal de Hamilton / Wilson est confié à deux acteurs différents, avant et après l’opération : John Randolph et la star Rock Hudson, remarquable dans un contre emploi.

Une scène de rêve digne de Dali et de Caligari

Une scène de rêve digne de Dali et de Caligari

Afin de déstabiliser le spectateur et instaurer une ambiance oppressante dès les images du générique (superbe, et signé Saul Bass, sur une partition inquiétante de Jerry Goldsmith), Frankenheimer opte pour des très gros plans au grand angulaire, ayant très souvent recours à l’objectif « Fish-eye » qui déforme les visages et les perspectives. Cette utilisation du grand angle est amplifiée par la construction de décors déformés comme pour la scène du rêve ou la fixation de la caméra sur un harnais accroché à l’acteur, notamment dans l’impressionnante ouverture dans la gare centrale de New York, où l’on ressent l’angoisse de Hamilton suivi au milieu de la foule. Cette esthétique quasiment expérimentale est le fruit de la collaboration de Frankenheimer avec le génial directeur de la photographie James Wong Howe, maître du noir et blanc réputé pour son perfectionnisme et son inventivité sans limite, capable de créer des images hors du commun, et qui travailla avec les meilleurs cinéastes hollywoodiens du temps du muet jusqu’au début des années 70. Un film comme Seconds, au formalisme délirant et au pessimisme radical, peut être considéré comme une aberration cinématographique sans doute moins maîtrisée que les films de Kubrick. Mais le film de Frankenheimer demeure une expérience fascinante et une sorte de point de non retour à la fois dans la filmographie du cinéaste et dans l’histoire d’un cinéma américain soucieux de revisiter ses mythologies sous un angle moderniste.

Rock Hudson dans L'Opération diabolique

Rock Hudson dans L’Opération diabolique

 

 

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