Olivier Père

Cycle Claude Sautet sur ARTE

Du 20 avril au 4 mai ARTE propose un hommage à Claude Sautet (1924-2000, photo en tête de texte) en six films, parmi ses meilleurs et ses plus représentatifs : Les Choses de la vie, Vincent, François, Paul et les autres, Mado, Quelques Jours avec moi, Un cœur en hiver, Nelly et Monsieur Arnaud… auxquels on aurait pu ajouter l’extraordinaire Max et le Ferrailleurs (diffusé l’année dernière sur ARTE) ou Classe tous risques (1960), l’admirable premier long métrage officiel de Claude Sautet, polar âpre et violent inspiré par les maîtres américains avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo juste avant la sortie d’A bout de souffle, adapté d’un roman de José Giovanni. Presque du Melville ou du Becker, un grand film noir sur la déchéance d’un homme, débarrassé du folklore de la pègre.

Mais ce cycle privilégie les drames psychologiques des années 70 qui firent la célébrité de Sautet et la dernière partie de l’œuvre. Quelques Jours avec moi, Un cœur en hiver, Nelly et Monsieur Arnaud dévoilent un cinéaste insensible aux modes, qui s’éloigne de la sociologie – une étiquette réductrice trop longtemps associée à son travail et qui l’exaspérait – échappant in extremis à la ringardise qui le menaçait (Garçon !, film de trop qui faillit éloigner Sautet du cinéma à tout jamais) pour trouver la voie d’un classicisme feutré.

C’est avec plaisir que nous reproduisons ici un beau texte de l’ami Frédéric Bonnaud, dont l’intérêt pour le cinéma de Claude Sautet, exprimé dans les colonnes des « Inrockuptibles » dès le début des années 2000 quand Sautet traversait pourtant dans une sorte de purgatoire critique, balaya pas mal d’idées reçues, de clichés et de fausses vérités sur le cinéaste de César et Rosalie et nous donna envie, à l’époque, de revisiter la filmographie d’un cinéaste à la fois très proche (français, populaire) et très secret, faussement conformiste, vraiment tourmenté.

 

 

Sautet ou l’art de l’absence, par Frédéric Bonnaud

« Claude Sautet a fait treize films en trente-cinq ans de carrière. Il ne matraquait pas, se faisait rare, suivait son rythme propre de grand maniaque obsessionnel, et préférait rester le meilleur « ressemeleur de scénarios » du cinéma français. L’expression est de François Truffaut, qui aimait bien Sautet en général, et Vincent, François, Paul et les autres en particulier. Quand quelque chose n’allait pas dans un de leurs scénarios, les cinéastes français les mieux reconnus, les plus « auteurs », le confiaient à Sautet, le meilleur « script doctor » de la place de Paris, et le plus discret. Revoyons Un cœur en hiver et son luthier à l’aune de cette pratique de technicien du récit. Artisanat, anonymat, fierté. Mais reprenons par le cliché : Claude Sautet ou « le cinéma de papa », celui des années Pompidou puis Giscard, la lointaine grisaille. Un cinéma d’artisan fier de son ouvrage, avec beaucoup de pluie, de brasseries enfumées, d’interminables conversations en voiture (avec les fameuses « transparences voiture » qu’il n’abandonnera jamais, marque de fabrique ô combien vieillotte), de femmes fortes mais compréhensives et de quadras salement atteints par le retour d’âge. Un cinéma très français, « franchouillard » affirment les contempteurs, fait de « grands posters collectifs brossés dans le sens du poil », écrivait Serge Daney à propos de Garçon !, film assez faiblard, effectivement, malgré les beaux ballets de brasserie. Et puis, soudain, l’œuvre du renouvellement (Quelques Jours avec moi, 1987), avec une autre génération de comédiens (Auteuil, Bonnaire puis Béart, Dussollier, en lieu et place de Schneider, Montand et Piccoli) et de scénaristes (le duo Jacques Fieschi Jérôme Tonnerre.)

Mais si Quelques Jours avec moi, Un cœur en hiver (1992) et Nelly et Monsieur Arnaud (1995, dernier film), la trilogie du renouveau, jouissent aujourd’hui d’une unanimité critique, les grands films des années 70 continuent à être mal vus, littéralement comme s’il leur fallait payer leur succès d’autrefois, comme si leur motif de prédilection (les affres de la bourgeoisie française) était confondu avec son traitement. Irréprochables techniquement, strictement calibrés, obsédés par la perfection hollywoodienne – et très précisément le professionnalisme hawksien –, les plus beaux Sautet ne font pourtant que déraper, à mesure qu’ils suivent la pente phobique de leurs personnages. C’est ce mouvement entre enfermement (souligné par des hommes sous vitres, où se dessinent les reflets d’une vie à laquelle ils n’ont pas accès, jolie trouvaille plastique) et irruption de la vitalité (toujours représentée par une femme, là et déjà ailleurs) qui anime Vincent, François, Paul et les autres, Mado, Quelques Jours avec moi, Un cœur en hiver et Nelly et Monsieur Arnaud. Ces films-là sont les meilleurs, car les plus sincères et les plus profonds, ceux où Sautet trouve l’équilibre parfait entre ses exigences d’artisan et son sujet de cinéaste : l’absence au monde et la cruelle revanche que celui-ci finit toujours par prendre. Dans Vincent, François, Paul et les autres, par exemple, Sautet assume sans fard une fiction minimale, et parvient à échapper à toute lourdeur en transformant des existences bloquées en autant de rythmes différents. L’air du temps passe finalement au second plan, et ce film symbole du cinéma de Sautet ne tient que sur l’accord parfait trouvé par le chef d’orchestre et ses interprètes dans un swing commun, une même euphorie en mineur. S’il faudra effectivement attendre le magnifique Quelques Jours avec moi pour que Sautet finisse d’accomplir sa mue, et jouisse enfin pleinement de son talent dévastateur pour le mélange des genres et des figures sociales, ses films précédents sont autant de balises sur le chemin d’un cinéaste qui est parvenu à se livrer tout entier (Nelly et Monsieur Arnaud, autoportrait subtil et bouleversant) tout en faisant de son classicisme une épure. La diffusion de ces six films permet de redécouvrir un cinéaste plus complexe et plus secret qu’il n’en a l’air, dont le goût affiché pour la forme classique dissimule une pulsion de désordre. »

Frédéric Bonnaud est directeur de la rédaction de l’hebdomadaire « Les Inrockuptibles » et prépare pour ARTE une revue documentaire sur le cinéma. Vous pouvez le retrouver tous les dimanches à 17h35 sur ARTE dans « Personne ne bouge ! », une revue culturelle pop et patrimoniale réalisée avec la complicité de Philippe Collin et Xavier Mauduit.

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