Olivier Père

Le Mépris de Jean-Luc Godard

« Quand j’y réfléchis bien, outre l’histoire psychologique d’une femme qui méprise son mari, Le Mépris m’apparaît comme l’histoire de naufragés du monde occidental, des rescapés du naufrage de la modernité, qui abordent un jour, à l’image des héros de Verne et de Stevenson, sur une île déserte et mystérieuse, dont le mystère est inexorablement l’absence de mystère, c’est-à-dire la vérité. » (Jean-Luc Godard)

 

Pour son cinquantième anniversaire Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard est réédité en version restaurée par Carlotta, en salles le 20 novembre puis en coffret Blu-ray et DVD le 3 décembre. Mon film préféré de Godard, avec ses Histoire(s) du cinéma.

Lors du tournage en Italie d’un film adapté de « L’Odyssée » par Fritz Lang, Camille la femme de Paul, scénariste français, se détache peu à peu de son mari, et lui avoue le mépris qu’il lui inspire. Un des plus beaux films jamais réalisés sur le couple et sur le cinéma, Le Mépris est également – et à juste titre – le plus mythique des films de Godard, qui s’autorise un lyrisme qu’on ne retrouvera que beaucoup plus tard dans son œuvre (Nouvelle vague, 1990.) Ce lyrisme doit beaucoup à la partition sublime de Georges Delerue, à la photographie en couleur de Raoul Coutard et à l’utilisation par Godard de l’écran large et des décors des studios romains et de la villa de Curzio Malaparte au bord de la mer, à Capri.

 

Ce chef-d’œuvre du cinéma moderne, à l’incommensurable postérité (combien de films ont emprunté au Mépris ?) dialogue à la fois avec Voyage en Italie (Rossellini figure tutélaire pour Godard) et L’avventura (Antonioni, l’ennemi intime) sur le même thème, l’érosion d’un couple comme allégorie de la crise morale du monde moderne et de la fin des idéaux. Le film est adapté d’un roman d’Alberto Moravia et devait au départ permettre à Godard, bénéficiant d’un budget plus important que d’habitude et d’une coproduction internationale, de mettre en scène Frank Sinatra et Kim Novak, ses premiers choix dans les rôles principaux. Le projet prendra une tournure plus européenne et Carlo Ponti le producteur italien acceptera finalement de voir Brigitte Bardot remplacer son épouse Sophia Loren. Inutile de rêver à un autre film puisque Brigitte Bardot et Michel Piccoli sont extraordinaires, au diapason d’une œuvre dont chaque phrase, chaque image, chaque son résonne comme un emblème des possibilités et de la beauté du cinéma pour plusieurs générations, passées présentes et à venir de spectateurs.

Godard fait se télescoper dans le berceau culturel méditerranéen, entre ciel et mer, la tragédie et la mythologie antiques et les antihéros modernes, névrosés et désillusionnés. Sans l’aimer vraiment Godard a su filmer et trouver la vérité de Bardot, qui sous son apparente désinvolture donne sans doute plus d’elle-même que dans aucun autre film et investit magnifiquement le personnage tragique de Camille.

Cette réédition providentielle nous permettra aussi de revoir Le Mépris avant la diffusion sur ARTE le 27 novembre à 20h50 d’un essai documentaire inédit de David Teboul Bardot, la méprise dans lequel le réalisateur évoque avec beaucoup de sensibilité et de subjectivité la vie et la carrière de B.B. avec bien sûr une place importante accordée au film de Godard. La plus belle interprétation de Bardot sera aussi son précoce chant du cygne. Après le tournage du Mépris l’actrice se désintéressera définitivement du cinéma, apparaissant encore dans une dizaine de films oubliables avant d’interrompre sa carrière dix ans plus tard, en 1973.

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