Olivier Père

Invincible de Werner Herzog

Invincible de Werner Herzog sort en DVD et Blu-ray le 19 novembre dans un nouveau master HD, mis en vente par Rimini Editions. Quand ce film est sorti en 2001 Werner Herzog était encore au creux de la vague, y compris auprès des cinéphiles qui le considéraient comme une relique des années 70 qui avait survécu tant bien que mal aux années 80 mais pas à la décennie suivante, temps de l’oubli ou de l’indifférence. Même si le cinéaste n’arrêtait pas de tourner des documentaires – dont le remarquable Ennemis intimes sur sa tumultueuse relation professionnelle avec Klaus Kinski – il n’avait pas réalisé de fiction depuis Cerro Torre le cri de la roche (1991) passé totalement inaperçu et Cobra Verde (1987) assez raté. Il faudra attendre le succès mondial de Grizzly Man (2005) pour que Herzog redevienne l’idole de la critique et du public, prêts à applaudir de nouveau la moindre de ses excentricités (une suite au Bad Lieutenant d’Abel Ferrara avec Nicolas Cage ?!) et attendre chacun de ses documentaires comme un événement, à juste titre (La Grotte des rêves perdues, Into the Abyss…) Invincible compte d’ailleurs de nombreux admirateurs depuis sa sortie trop confidentielle, de Jonathan Caouette à Jean-Luc Godard qui le considère comme l’un des meilleurs films jamais réalisés sur la judéité.

Invincible raconte l’histoire vraie de Zishe Breitbart, aîné d’une famille de forgerons vivant dans un schtetl au fin fond de la Pologne dans les années 30. Découvert par un imprésario allemand au hasard d’un spectacle forain où Zishe a fait la démonstration de sa force herculéenne, le jeune homme entreprend un voyage à Berlin et devient le « monsieur muscle » d’une scène de cabaret à la mode. Ces soirées sont fréquentées par le gratin mondain et les membres du parti national-socialiste et le maître de cérémonie n’est autre que Hanussen, astrologue magnétiseur qui se présente comme le médium du nazisme, et obtient même une place de « conseiller spiritualiste » dans le gouvernement d’Hitler, avant d’être démasqué comme escroc, imposteur, Juif de surcroît, et exécuté d’une balle dans la tête par les gangsters du führer. Zishe, contraint de jouer Siegfried, le héros aryen, malgré ses origines, sera l’instrument involontaire de la chute de Hanussen, dont il avait démasqué les véritables desseins à défaut de sa véritable identité. Témoin de la montée du nazisme, Zische constatera à son retour en Pologne l’inutilité de sa force, impuissant à prévenir son peuple de l’imminence de la menace antisémite. Cette histoire presque trop romanesque et symbolique pour être vraie fournit à Herzog le matériau idéal qui lui permet de revenir sur les thèmes principaux de son œuvre : le mal et la magie, la surhumanité et la monstruosité, l’innocence et la violence, L’Histoire et le spectacle… Les numéros d’hypnose renvoient évidemment aux propres expériences de Herzog sur certains de ses tournages tandis que Zishe s’ajoute aux personnages d’hommes enfants (Kaspar Hauser, Bruno) et Hanussen aux mégalomanes campés par Klaus Kinski. Herzog parvient à surmonter les écueils des coproductions européennes (la pire étant le recours à l’anglais) par un surcroît de distanciation dans le jeu des acteurs. L’anglais apparaît donc moins comme une concession commerciale, justifiée par la présence de Tim Roth, génial et inquiétant dans le rôle de l’astrologue, qu’un surplus d’étrangeté à un film qui n’en manque pas. Après tout, nul ne s’est ému que le meilleur film évoquant la montée du nazisme, Les Damnés de Visconti, fut parlé en anglais, parce que le traitement du sujet permettait une telle licence. Le film de Herzog poursuit cette lignée, mélange de réalisme et de conventions : la jeune musicienne maîtresse de Hanussen dont tombera amoureux le jeune colosse est interprétée par Anna Gourari, actrice non professionnelle mais pianiste virtuose et Jouko Ahola est un haltérophile qui fait lui aussi ses débuts à l’écran. On sent la reconstitution historique limitée par le budget (ce qui accentue la stylisation du film), mais les images et la mise en scène sont néanmoins superbes, évoquant l’expressionnisme.

Le film de Herzog était donc en 2001, par son esthétique et son propos, totalement inactuel, mais il ne déméritait pas de l’œuvre, unique et totalement marginale, du cinéaste. On peut bien sûr lui reprocher l’ambiguïté de son discours, le ressassement des mythes germaniques et bibliques, les références picturales insistantes, mais aussi être saisi par la beauté intemporelle du film et de l’interprétation. Même s’il traite de faits historiques réels et s’inspire d’un personnage vrai devenu légendaire, cette destinée édifiante oriente le film vers la fable, en accord avec la personnalité ténébreuse du cinéaste, visionnaire fou dont les films explorent la face sombre de l’humanité, le combat de la raison et de l’irrationnel. Herzog ne démord pas de ce rapport magique au monde qui a longtemps empêché les gens « sérieux » et « intelligents » de prendre justement ses films au sérieux.

Un cinéma de la fascination est toujours contestable, mais une entreprise artistique qui se moquait à ce point des modes et d’une certaine tendance, à la fois inconséquente et prétentieuse du cinéma d’auteur contemporain ne peut être qu’appréciable, aussi hasardeuse soit-elle.

Werner Herzog prépare actuellement un nouveau long métrage de fiction, Vernon God Little, adaptation du roman de DBC Pierre, récit satirique à l’humour très noir sur le thème de la violence dans la culture et la société américaines, située à la frontière du Mexique et du Texas, nouveau témoignage de l’intérêt de Werner Herzog pour l’Amérique profonde.

Il s’agit d’une coproduction franco-allemande de Haut et Court (Paris) et X-filme (Berlin) avec ARTE (Grand Accord entre ARTE France Cinéma et WDR.)

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