Olivier Père

Porco Rosso de Hayao Miyazaki

« Quand j’étais petit, j’aimais dessiner. Mais je ne faisais absolument pas les dessins des enfants de mon âge. Je dessinais uniquement des avions, des chars ou des bateaux de guerre. » (Hayao Miyazaki)

 

En 1985 Hayao Miyazaki fonde avec Isao Takahata et Yasuo Otsuka le studio Ghibli, structure destinée à produire des chefs-d’œuvre d’artistes en toute liberté. En devenant son propre producteur, Miyazaki enchaîne les futurs classiques de l’animation : Le Château dans le ciel (1986), Mon voisin Totoro (1988) et Porco Rosso (Kurenai no buta, 1992, mais distribué en France trois ans plus tard), diffusé ce soir sur ARTE à 20h50.

 

Dans les années 20 quelque part en Italie, le pilote Marco, aventurier solitaire et vétéran de la Première Guerre mondiale, vit dans le repaire qu’il a établi sur une ile déserte de l’Adriatique. A bord de son splendide hydravion rouge, il vient en aide aux personnes en difficulté, véritable bête noire des pirates de l’air qui sévissent dans la région. Victime d’une mystérieuse malédiction, Marco a désormais l’apparence d’un cochon, condition physique qui accentue sa solitude, sa mélancolie, et achève de compliquer son histoire d’amour avec une belle chanteuse, convoitée par son rival, un aviateur américain qui s’est allié avec les pirates.

Cette intrigue feuilletonesque et romantique, peuplée de personnages pittoresques et traversée de scènes dignes d’un film d’aventures de Hawks, Wellman ou Walsh (combats et duels aériens, bagarres homériques, rivalité virile et fascination pour les femmes à fort caractère) marque un tournant dans la carrière de Miyazaki, qui ne s’adresse pas seulement aux enfants, puise dans sa passion de la culture européenne, littéraire et musicale de l’entre-deux-guerres – on entend « Le Temps des Cerises » dans Porco Rosso, ses souvenirs d’enfance et bien sûr sa passion pour l’aviation.

C’est cette même passion qui lui inspirera vingt ans plus tard son testament cinématographique – du moins annoncé comme tel – Le vent se lève, il faut tenter de vivre (d’après un vers de Paul Valéry extrait de son poème « Le Cimetière marin ») présenté à la Mostra de Venise cette année et qui sortira en France le 22 janvier.

Dans Porco Rosso le spectateur est emporté par une invention visuelle de chaque instant, véritable symphonie de couleurs, de mouvements et d’émotions, où la truculence côtoie la mélancolie, dans un petit monde d’action et de passion qui sera bientôt balayé par la Seconde Guerre mondiale.

« Je préfère être un cochon décadent qu’un fasciste » est la réplique la plus mémorable de notre héros à groin, véritable dandy individualiste et charmeur à la croisée du futurisme – pour son amour poétique des machines volantes et de la vitesse – et d’un décadentisme à la D’Annunzio, sans les compromissions avec l’idéologie mussolinienne qui entachèrent ces deux courants artistiques italiens. L’enfant chétif et solitaire qu’était Miyazaki se projette dans la figure héroïque, pathétique et tragique de Marco, qui incarne des idéaux chevaleresques, mais le regard posé sur cet îlot d’aventures bientôt englouti par le chaos de l’Histoire est bien celui d’un homme et d’un artiste, au discours politique sans ambigüité.

 

 

 

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