Olivier Père

Yuki et Nina : entretien avec Hippolyte Girardot

ARTE diffuse mercredi 23 octobre à 23h45 Yuki et Nina (2008) beau film coréalisé par le cinéaste japonais Nobuhiro Suwa (Mo/ther, H Story) et l’acteur français Hippolyte Girardot pour sa première expérience de long métrage derrière la caméra. Le film est une coproduction ARTE France Cinéma et j’avais eu le plaisir de présenter cette œuvre sensible et juste sur le monde et les émotions de l’enfance à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes quand j’en étais le délégué général. Le film raconte l’amitié entre deux petites filles à Paris. Yuki, une petite franco-japonaise de neuf ans, apprend que ses parents se séparent. Elle comprend qu’elle devra suivre sa mère au Japon. Outre la séparation d’avec son père, cet exil l’obligera à quitter Nina, sa seule amie. Ensemble, elles vont tenter d’empêcher cette séparation et son départ catastrophique.

A l’occasion de cette diffusion demain soir sur ARTE nous avons souhaité revenir avec Hippolyte Girardot, acteur formidable chez Rochant, Desplechin, Ferran, Resnais sur cette expérience singulière et réussie.

 

Comment est née l’idée du film et surtout l’idée de le coréaliser avec Nobuhiro Suwa ?

Quand Suwa m’a contacté la première fois, c’était en 2005 pour interpréter le rôle masculin de ce qui allait être Un couple parfait (un téléfilm pour ARTE). La « méthode » Suwa est de rencontrer des acteurs et de leur demander d’investir les rôles au point qu’il les laisse inventer leurs dialogues, leur psychologie. Je pense qu’il a le même point de vue vis-à-vis des postes techniques. Il aime être celui qui canalise et dirige les créativités de chacun davantage que celui que les invente. Il a coutume de dire qu’il n’est pas l’auteur du film. Il a une vénération pour un cinéma réaliste (Pialat par exemple) et se méfie de l’imagination. Bref, il me contacte et discute avec moi pour me connaître. Discuter est un grand mot peu adéquat aux échanges que nous avons. Il parle, Michiko Yoshitake (son producteur) traduit et j’écoute, puis je réfléchis, répond, attends que Michiko ait traduit puis que Suwa à nouveau me réponde. Je pense aujourd’hui que c’est cette mauvaise communication qui nous a permis de nous embarquer dans cette aventure un peu à l’aveuglette, sans vraiment se connaître, sans vraiment savoir le « sous texte » inhérent à toute communication. Néanmoins, nous nous apercevons que parler des enfants, de la famille nous intéresse beaucoup. Il est père de deux garçons, moi de deux filles et deux garçons, et nous partageons des expériences communes. finalement, il choisit Bruno Todeschini pour jouer le mari de Valeria Bruni Tedeschi (à mon avis une meilleure idée que moi tant Un couple parfait raconte la fin d’une longue relation et qu’ils ont été tous les deux élèves de Patrice Chéreau à l’école des Amandiers.) Mais quelques mois plus tard, il me rappelle et me tient ce discours: « J’ai toujours voulu coréaliser. Je voulais le faire avec Robert Kramer mais hélas il est mort. Je pense que même si tu n’as jamais mis en scène, tu pourrais être coréalisateur avec moi d’un film qui aborderait la question des enfants. Qu’en penses-tu ? » Nous ne parlions pas la langue de l’autre, ni une langue commune, nous n’avions aucun financement pour écrire, il repartait au Japon parce qu’il enseignait à l’université, il n’y avait absolument aucune perspective que ce projet aboutisse et donc j’ai dit oui. Parce que toutes ces mauvaises raisons m’apparaissaient comme des bonnes raisons.

 

Le film aborde le monde des adultes à hauteur d’enfants, au travers du regard de Yuki et Nina. Comment se met-on dans la peau d’une petite fille, la rencontre et les échanges avec les deux jeunes actrices ont-il été déterminants ?

Les premières versions de l’histoire racontaient le voyage que le père de Yuki effectuait avec son fils dans ses terres d’enfance parce qu’il allait devoir accepter de le laisser partir avec sa femme au Japon. Au final, c’est une petite fille qui doit suivre sa mère et va faire un voyage avec sa copine. Comment en est-on arrivé là ? Je crois me souvenir que l’idée de travailler autour de l’histoire d’une petite fille est venue quand Suwa lui-même a rencontré une petite fille franco-japonaise. J’ai tout de suite pensé que c’était une bonne idée car cela nous délivrait d’une identification trop littérale, trop problématique aussi puisque notre modèle aurait été nos propres expériences, très différentes entre elles. Quant au choix de l’interprète, il a été fait une fois que le projet avait été écrit. Noë Sampy (Yuki) a été choisie parce qu’elle était la meilleure. Quand je préparais le film (Suwa n’était pas souvent là à cause de sa charge de professeur, puis de directeur de l’université à Tokyo) j’ai vu beaucoup de petites filles franco-japonaises. C’était une denrée rare: elle devait avoir l’âge du rôle, parler aussi bien le Japonais que le Français, avoir envie d’être filmée, avoir des parents qui acceptaient qu’elle passe ses deux mois de vacances scolaires à tourner en France plutôt qu’à rendre visite à sa famille au Japon. Noë remplissait toutes ces conditions, et elle avait aussi une sorte d’opacité derrière ce visage si lumineux qui attirait la caméra. Elle a beaucoup de caractère et plus d’une fois, je me suis dit que je ne saurais jamais faire un film avec elle. Suwa y a toujours cru. Et pendant le tournage, elle a effectivement été une « auteur » du film, donnant à la tristesse de Yuki une couleur très particulière. Elle a réussi avec sa partenaire Arielle Moutel (Nina) à nous entraîner dans le secret de leur vie. Suwa et moi en sommes devenus les spectateurs, modifiant le scénario quand c’était nécessaire.

La forêt est une passerelle entre la France et le Japon, et apporte une dimension magique à un récit réaliste. Vous êtes-vous inspiré des croyances et légendes japonaises ?

Eh bien non. La fugue des deux petites filles, puis de Yuki seule a pris cette tournure d’une façon naturelle. Suwa, plus réaliste que je ne le suis, avait peur que cela ne fonctionne pas. Je ne sais pas, j’ai l’impression que c’est un peu comme Alice. De toutes façons, à partir du moment où un enfant se balade en forêt, on est dans le conte. La forêt – en France comme au Japon – est le berceau de nos peurs et des histoires qui nous permettent de l’affronter.

Qu’est-ce que cette expérience t’a appris sur la mise en scène, l’écriture, la direction d’acteur ? As-tu envie de la renouveler ?

Suwa est un réalisateur unique, avec un talent très particulier et aujourd’hui encore, l’expérience de cette réalisation continue de me faire réfléchir. Quelle part entre l’intention et l’improvisation ? Quel temps donner à un plan pour qu’il soit perçu ? Les détails font-ils le tout ? Quelle relation existe-t-il entre l’écriture du projet et  sa mise en forme ? Toutes ces questions sont une façon de dire mon envie de renouveler cette expérience, oui.

Peux-tu nous parler de la ressemblance que tu as découverte récemment entre le film et un roman de Henry James ?

On m’a donné ce livre (pas encore lu) de Henry James: « Ce que savait Maisie » (« What Maisie Knew » publié en 1987, traduit en français par Marguerite Yourcenar, ndr.) C’est une petite fille, vivant entre son père et sa mère après leur divorce, qui assiste à la haine féroce entre adultes. La ressemblance (toutes proportions gardées) vient du point de vue adopté par James: celui de l’enfant. Ce que Suwa et moi avons essayé de faire.

 

Remerciements à Hippolyte Girardot.

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