Olivier Père

Richard C. Sarafian (1930-2013)

On a appris aujourd’hui la disparition de Richard C. Sarafian à l’âge de 83 ans.

Cinéaste trop discret, disparu des radars dès la fin des années 80, Richard C. Sarafian n’a pas réalisé beaucoup de films, et encore moins de bons. Issu de la télévision, contemporain des Penn, Peckinpah, Altman (qui fut son beau-frère !) et Frankenheimer, il n’eut pas la chance de ses derniers et ne parvint pas à s’imposer à Hollywood, malgré une forte personnalité et un véritable talent. On lui doit pourtant deux des meilleurs films américains du début des années 70, relectures des thèmes de la frontière et de l’héroïsme chers au cinéma classique : Point limite zéro (photo en tête de texte) et Le Convoi sauvage qui racontent à peu près la même chose (et de la même façon, avec retours en arrière et ambitions métaphysiques).

Natif de New York, d’origine arménienne, Sarafian débute sa carrière à la télévision où il réalise de très nombreux épisodes de séries à succès entre 1961 et 1968. Après trois longs métrages de cinéma à la carrière confidentielle, Sarafian réalise le formidable Point limite zéro (Vanishing Point, 1971), chef-d’œuvre de la contre culture américaine, road movie définitif aussi important, sinon davantage, et mieux réalisé que Easy Rider, Macadam à deux voies, Sugarland Express ou Electra Glide in Blue. Kowalski (Barry Newman) est un ancien flic, vétéran du Vietnam, devenu pilote professionnel et convoyeur, qui accepte de relever un pari stupide : rallier Denver à San Francisco en voiture en moins de quinze heures. Bourré d’amphétamines il se lance dans une course effrénée à travers l’Amérique rurale, bientôt poursuivi par la police de la route. C’est un voyage dans l’espace et aussi dans le temps, propice à des bribes de souvenirs sur ses vies précédentes, entre hallucinations et désillusions. Kowalski se transforme en héros négatif, conquérant de l’inutile, rebelle sans cause, et sa course désespérée devient l’allégorie du déclin l’Amérique de la fin des années 60 et du début des années 70, corrompue par la violence, autodestructrice, amnésique de ses valeurs fondatrices.

Barry Newman dans Point limite zéro

Barry Newman dans Point limite zéro

Point limite zéro était l’histoire d’une fuite en voiture avec l’anéantissement au bout de la route, Le Convoi sauvage (Man in the Wilderness, également réalisé en 1971) inverse le processus : un voyage de la mort à la vie, une renaissance.

Le film narre l’odyssée d’un trappeur (interprétation remarquable de Richard Harris) abandonné agonisant après avoir été attaqué par un ours. L’homme va revenir à la vie grâce à sa connaissance de la nature et la bienveillance de cette dernière (admirables séquences panthéistes) et partir à la recherche de ses anciens compagnons pour se venger. Le Convoi sauvage est célèbre pour ses images de trappeurs traversant l’ouest sauvage à bord d’un bateau tiré par des chevaux. Ces visions poétiques et un discours philosophique qu’on pourrait qualifier de spinoziste font du film un titre à part parmi la vague des néo westerns de l’époque. Le convoi est dirigé par le cinéaste John Huston, sans doute un modèle pour Sarafian, et dont l’interprétation évoque le capitaine Achab de Melville. Le Convoi sauvage, malgré ses qualités, ne rencontra pas le même succès qu’Un homme nommé cheval (avec la même vedette Richard Harris, autre récit de survie en territoire hostile) ou Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, autre western sur les « mountain men ». Sarafian réalise deux ans plus tard Le Fantôme de Cat Dancing (The Man Who Loved Cat Dancing). Ce film de commande au scénario plus classique, western romantique sur une jeune femme capturée par des pilleurs de trains est une réussite mineure qui offre à Burt Reynolds un rôle plus subtil que d’habitude. Le Fantôme de Cat Dancing connut une genèse tourmentée avec la mort mystérieuse de l’assistant (et amant) de l’actrice principale Sarah Miles sur le tournage et de nombreux conflits entre Sarafian et la production. Les films suivants, entre désastres commerciaux, commandes obscures et retours à la case télé – nous n’avons vu aucun titre de cette période –  confirmeront le déclin inexorable du cinéaste devenu maudit aux yeux des décideurs des studios. Il n’empêche que les cinéphiles se souviendront de Richard C. Sarafian grâce à deux films extraordinaires, à la fois caractéristiques et marginaux dans l’histoire du Nouvel Hollywood.

Richard Harris dans Le Convoi sauvage

Richard Harris dans Le Convoi sauvage

 

 

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