Olivier Père

Rétrospective Raffaello Matarazzo à la Cinémathèque française (4)

Pour clore en beauté l’été cinématographique et notre recension de la rétrospective Raffaello Matarazzo qui se tint à la Cinémathèque française au mois de juillet voici trois titres essentiels du cinéaste italien que nous vîmes ou revîmes en DVD après la fin de la manifestation parisienne. Son premier film, son film le plus célèbre, et la conclusion du cycle Yvonne Sanson-Amedeo Nazzari.

 

Treno popolare (1933)

Treno popolare1Treno popolare (photo en tête de texte) raconte la journée des voyageurs qui font un aller-retour Rome Orvieto, profitant de l’abaissement des tarifs ferroviaires pour les classes populaires les jours fériés décidé par le gouvernement mussolinien (les « trains populaires » qui donnent leur titre au film) pour visiter la ville médiévale et ses monuments, mais surtout pique-niquer et passer du bon temps, de préférence en galante compagnie. Plusieurs couples vont aussi se faire et se défaire durant le voyage, et les deux employés partis ensemble, mais mal assortis, auront peut-être trouvé l’âme sœur à l’issue du voyage et de ses péripéties. Matarazzo fait preuve de beaucoup d’humour et de tendresse, qualités que l’on retrouvera dans ses comédies suivantes. C’est un beau film placé sous le signe de la jeunesse et de la nouveauté, tourné entièrement en extérieurs, avec un petit budget, en partie improvisé. On a évoqué les prémisses du néo-réalisme au sujet de Treno popolare, le tout premier de Matarazzo, qui brise plus de dix ans avant Rossellini et De Sica les règles d’un cinéma italien tourné en studios, friands de sujets historiques, littéraires ou mondains, en partant à découverte du peuple italien et en filmant des sites naturels. Matarazzo excelle déjà dans l’étude de caractère, esquissant en quelques plans muets au début du film la personnalité et la situation des personnages principaux. Par sa concision, sa vitesse d’exécution et sa finesse de trait, Treno popolare évoque le croquis d’un observateur bienveillant qui ne sombre jamais dans la caricature, malgré des moments savoureux ou cocasses. On pense aussi aux hommes le dimanche, réalisé trois ans plus tôt à Berlin par les frères Siodmak, Zinnemann, Wilder et Ulmer, avec cette volonté identique de témoigner de l’évolution des mœurs et coutume d’une société en voie de modernisation, et de profiter de la liberté de création, encore partiellement inexploitée, que permet l’outil cinématographique. Première musique composée par Nino Rota pour le cinéma, qui allait poursuivre sa collaboration avec Matarazzo (Giorno di nozze, Il birichino di papà) avant de connaître la grande carrière internationale que l’on sait. Le premier long métrage de Matarazzo ne connut aucun succès au moment de sa sortie, il fut même violemment rejeté par le public, peu habitué à ce refus de l’artifice et à cette recherche de la vérité.

 

Le Navire des filles perdues (1953)

25577Kerima, Ettore Manni, May Britt, Tania Weber sont les jeunes et beaux interprètes de ce mélodrame paroxystique, l’un des sommets du genre, qui transcende l’œuvre de Matarazzo, pourtant riche en larmes et en coups atroces du destin. En Espagne, au XVIIIe siècle, la jeune Isabella Mac Donald est sur le point d’épouser un riche planteur afin de sauver son père de la ruine. Mais elle est accusée d’infanticide, le jour de la cérémonie, car elle a assassiné l’enfant né de ses amours coupables. La mère d’Isabella persuade sa nièce, Consuelo, d’avouer le crime à la place de sa cousine. C’est sans doute le titre le plus populaire et le plus commenté de toute l’œuvre de Matarazzo, et c’est pourtant un film éminemment atypique dans sa carrière, malgré la présence au générique du fidèle scénariste Aldo De Benedetti, qui adapte cette fois « Histoire de cent trente femmes » de Léon Gozlan, et les retrouvailles avec Nino Rota. Pour plusieurs raisons : Il est en couleur et Matarazzo a tourné presque tous ses films en noir et blanc. L’étrange Gevacolor, hélas guère épargné par l’usure du temps dans les rares copies encore visibles, ajoute au baroquisme du film, qui est longtemps retenu avant d’exploser dans les scènes finales. La piètre qualité de la restauration empêche malheureusement de goûter au travail du grand directeur de la photographie Aldo Tonti. Le film est sadique et érotique, dans une œuvre qui a toujours fait preuve de chasteté, même quand il s’agissait de décrire la passion amoureuse. Le Navire des filles perdues est célébre à la longue séquence de la mutinerie, qui se transforme en fête païenne avec orgies, danses frénétiques et femmes dépoitraillées s’offrant aux marins. La version française est d’ailleurs beaucoup plus sexy que le montage italien, le film réservant aux spectateurs français le plaisir de se rincer l’œil devant plusieurs paires de seins nus. Auparavant, on aura assisté à des scènes de torture et de flagellations, dans la tradition des films d’aventures maritimes. On retrouve les thèmes chers à Matarazzo, la cruauté d’un sort injuste réservé à la pauvre héroïne qui se sacrifie pour sa famille, un infanticide perpétré par la méchante cousine, la rédemption au bout d’un chemin semé d’embûches. Mais avec une folie, un délire qui se manifeste dans des débordements de violence et d’action, loin de l’austérité et du lyrisme rentré de ses mélodrames en noir et blanc. Le christianisme exalté du film, avec tempête et punition divine à la fin, est digne des mélodrames ou des fresques bibliques de Cecil B. De Mille.

Le Navire des filles perdues

Le Navire des filles perdues

 

Malinconico autunno (1958)

Malinconico autunnoComme souvent avec Matarazzo, c’est une chanson entendue dans une scène de cabaret qui donne son titre à Malinconico autunno, « automne mélancolique », bien choisi pour un film sur des adieux aux spectateurs et le vieillissement de ses vedettes. Dernier des sept films de Matarazzo interprétés par le couple formé par Yvonne Sanson et Amedeo Nazzari, Malinconico autunno prend la forme d’une conclusion émouvante et apaisée. Tourné à Barcelone – Matarazzo réalisa deux productions espagnoles hélas absentes de la rétrospective et indisponibles en DVD – Maliconico autunno accorde plus d’importance, une fois n’est pas coutume, à l’acteur qu’à l’actrice, et leur histoire d’amour est périphérique comparée au véritable sujet du film : l’élection d’un père de substitution par un petit garçon élevé par sa mère et en proie aux brimades de ses camarades d’école qui le traitent de « bâtard. » Matarazzo démontre une nouvelle fois que les liens de l’amour sont plus forts que les liens du sang, et le viril capitaine de cargo (Nazzari) trouvera le chemin de la rédemption – il trempait dans des affaires louches de contrebande – grâce à ses sentiments naissants pour l’enfant et sa mère. C’est un film plein de tendresse, beaucoup moins éprouvant pour le spectateur car les mésaventures des héros n’atteignent pas la violence et le paroxysme des titres précédents. Sanson très passive et en retrait, c’est Nazzari qui porte le film sur ses solides épaules. Très belle scène où il sauve la vie du petit garçon blessé par son associé félon qui avait organisé une mutinerie à bord du bateau.

Amedeo Nazzari et Raffaello Matarazzo sur le tournage de Malinconico autunno

Amedeo Nazzari et Raffaello Matarazzo sur le tournage de Malinconico autunno

 

 

 

 

 

Catégories : Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *